14/01/2013

Jean Michel Jarre revisite Oxygène


Trente ans après avoir révolutionné le monde de la musique contemporaine, le compositeur réenregistre son album mythique...


11 janvier 2008

Photo : Agence France-Presse
Ils étaient tous là, réunis en carré pour l'occasion. Il y avait Eminent 310, Jupiter 8 Roland, Mini Moog et même Thérémine, ce drôle d'instrument d'origine russe. ARP 2600, VCS3, Minipop 7 Drum Machine et Mellotron MK II ne pouvaient pas eux non plus rater cette grande fête, après tout organisée en leur honneur.

Trente ans après avoir révolutionné le monde de la musique contemporaine en lançant, à une époque dominée par le disco et le punk, son désormais mythique album Oxygène, l'artiste français Jean-Michel Jarre vient en effet de rebrancher ses synthétiseurs aux dénominations surannées pour une ultime séance d'enregistrement.

Son objectif est clair: marquer cet anniversaire en cristallisant une nouvelle fois sur CD, à l'aide des technologies d'aujourd'hui, cette symphonie planante qui a marqué les débuts de sa carrière internationale tout en rendant hommage aux instruments analogiques et aux pionniers qui les ont inventés et que le maelström numérique et électronique des dernières années a doucement fait sombrer dans l'oubli.

«C'est un rêve que je caressais depuis longtemps», a indiqué cette semaine au Devoir Jean-Michel Jarre, joint par téléphone à sa résidence parisienne. «En 1977, j'ai enregistré Oxygène dans ma cuisine sur un très vieux magnétophone analogique à huit pistes, mais j'ai toujours eu envie de réenregistrer cette musique un jour, de manière plus professionnelle.»

Motivé par l'explosion récente de la haute définition (autant sonore que visuelle), Jarre est finalement passé aux actes il y a quelques semaines. C'était au studio Alfacam de Lint, en Belgique, où le compositeur a ses habitudes depuis plus d'une décennie. «Je voulais réenregistrer cette oeuvre telle que j'avais envie de l'entendre, ajoute-t-il, avec une profondeur dans le mixage et dans le son qui rend désormais justice à ce que j'avais en tête au départ.»

Baptisé Oxygène - Live In Your Living Room, le résultat rassemble donc sur une galette, que l'Amérique du Nord se prépare à recevoir en guise de voyage dans le temps, les six principaux mouvements de cette ballade musicale de 40 minutes un brin ésotérique qui, en 1977, saluait l'eau, l'air et la planète. Un DVD complète l'exercice de mise à jour en présentant une version en concert, mais sans public, d'Oxygène, avec quatre variations inédites de cette symphonie novatrice qui, au siècle dernier, a été vendue à travers le monde à pas moins de 12 millions d'exemplaires.

«Ce n'était pas joué d'avance», se souvient le fils de Maurice Jarre, célèbre compositeur de musique de films. «Beaucoup de maisons de disque avaient refusé Oxygène parce qu'il n'y avait pas de chanteur. Pire, les morceaux ne portaient pas de nom [l'oeuvre se décline en sections numérotées de 1 à 6] et, contrairement à la pop, certains mouvements duraient dix minutes.»

Le pari était audacieux. Il plaçait aussi cet objet sonore non identifié à des années-lumière non seulement des courants musicaux de l'époque mais aussi de l'électronique glaciale et industrielle du groupe Kraftwerk, pionnier dans ce domaine qui sévissait en Allemagne lors de cette même décennie 70.

Des thèmes qui traversent le temps

Avec sa poésie futuriste et ses sonorités atypiques, l'oeuvre ne décape pas. Mais elle séduit. Et elle peut encore le faire aujourd'hui, croit Jean-Michel Jarre qui, sans surprise, en fin calculateur et programmateur qu'il est, reconnaît le caractère «intemporel» de sa symphonie.

«C'est la chose qui m'a frappé quand j'ai commencé à reprendre l'enregistrement, dit-il. Cette musique, ces sons ne sont pas figés dans le temps. Ils sont même très d'actualité.» Normal, selon lui. «Ma musique n'a jamais été liée à la science-fiction mais plutôt à la biosphère et à la stratosphère, ajoute-t-il. Or le thème d'Oxygène, c'est quoi? L'environnement et l'écologie, des préoccupations très lyriques il y a 30 ans qui sont devenues de plus en plus sérieuses aujourd'hui. Tellement que la pochette de cet album [un crâne humain sortant de la Terre en la déchirant] pourrait facilement être le logo d'Al Gore [l'ancien vice-président américain devenu environnementaliste].»

Conséquence: dans un monde (aujourd'hui le nôtre) «plus sombre» et où l'avenir que nous avons fantasmé dans les années 70 est maintenant «derrière nous», Oxygène offrirait donc un bol d'air aussi frais que rassurant, croit Jarre, avec «le grain unique» que donnent à cette oeuvre tous les instruments analogiques du passé qu'il a utilisés.

«C'est un retour aux sources, dit-il. Je ne pouvais pas envisager de prendre des instruments numériques puisque Oxygène n'a pas été écrit pour cette technologie. Et c'est très bien comme ça. Ces instruments font partie de la mythologie de la musique électronique. C'est l'équivalent des stradivarius pour la musique classique. Ils sont tellement mythiques que les instruments numériques s'inspirent d'ailleurs de leur ergonomie mais n'arrivent pas à reproduire leur grain et leur jeu. Quant aux musiciens d'aujourd'hui, beaucoup rêveraient d'en jouer.» Mais le fantasme est forcément inassouvi puisque ces instruments analogiques ne sont plus fabriqués depuis le début des années 80.

«Dans le monde de l'électronique, nous sommes orphelins de nos racines, poursuit Jarre. Et pourtant, quand on parle de la musique électronique, on ne peut pas ignorer ses fondations.»

Racines retrouvées

En faisant entrer Oxygène dans l'air du temps, c'est donc aussi à un travail de reconstruction de la mémoire collective que l'artiste s'adonnerait. Et ce, sans pour autant se placer au centre de cette reconstruction, comme pourraient le laisser présager ses nombreuses apparitions, forcément narcissiques, dans les pages des magazines «pipole», comme disent les Français. Jarre avait en effet été élu personnalité de l'année par le magazine People, l'année d'Oxygène, justement.

«Le grand oublié, c'est Pierre Shaeffer [fondateur du Groupe de recherches musicales (GRM) où Jarre, tout comme le grand Karlheinz Stockhausen, a fait ses premières armes et est entré en contact avec l'AKS, le Thérémine et le Digisequencer]. C'est à lui que je dédie Oxygène», lance le compositeur. «Pierre Shaeffer, c'est une des figures les plus importantes de la musique du XXe siècle. Il a changé la manière de penser la musique en étant le premier à dire qu'elle n'était pas seulement faite de notes mais aussi de sons et que la différence entre un son et un bruit, c'est le geste du musicien. C'est lui qui a inventé le design sonore, l'échantillonnage, le réverbéromètre. Tous les procédés de composition actuels ont été inventés par Shaeffer dans les années 40. Sans lui, je ne serais pas là aujourd'hui.»

L'élève est reconnaissant. Il espère aussi transporter sa reconnaissance sur la scène de plusieurs salles de spectacles européennes où, au cours des prochaines semaines, une version live et intimiste d'Oxygène doit être présentée après une série de dix concerts qui viennent de se conclure au théâtre Marigny-Robert-Hossein à Paris, minuscule théâtre à l'italienne qui tranche avec les concerts à grand déploiement dont Jean-Michel Jarre s'est fait le chantre, notamment à la cité interdite de Pékin, aux pyramides de Gizeh, sur le site de la NASA à Houston et sur la place de la Concorde à Paris.

«Le format d'Oxygène justifie cette intimité», justifie-t-il lorsqu'on le place devant ce paradoxe. «Mais j'ai toujours pensé que la musique électronique résonnait mieux à l'extérieur qu'à l'intérieur. Et puis, l'idée du partage d'une rencontre singulière où ni le public ni vous n'avez de deuxième chance m'a toujours inspiré.»

Tout en faisant rayonner Jarre à travers le monde, cette quête du concert plus grand que nature, qui lui vaut aussi une image d'artiste nouvel-âge et un chouïa ringard, n'est d'ailleurs pas sa seule source d'inspiration, à en croire l'artiste, dont le présent bain d'Oxygène semble finalement très profitable. Sur le plan créatif, s'entend.

«Ce retour aux sources m'a permis de faire mon auto-analyse, dit-il. Au cours des dernières années, la technologie nous a poussés vers le numérique, avec lequel il est possible de faire de belles choses. Mais en découpant le son avec des zéros et des uns [les codes binaires], on arrive, sur le plan psychoacoustique, à une différence significative par rapport à l'analogique. C'est la même différence qu'entre une femme qui est maquillée et une femme qui est coupée en morceaux. Et en revisitant Oxygène, je me suis dit que je préfère les femmes maquillées.»

La suite est donc prévisible. «J'ai revu mes projets d'albums, poursuit Jean-Michel Jarre. J'ai envie de retravailler avec des instruments analogiques pour leur sensualité et la grande poésie qu'ils permettent de générer.» Au grand bonheur du Taurus Moog, du Ribbon Controller Doepper et du RMI Harmonic Synthesizer qui, après la fête, ne seront peut-être pas remisés de sitôt.

Source: edevoir.com/culture/musique

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