Jean-Micbel, depuis quand possèdes tu ton studio personnel et comment s’est passé l’évolution de ton matériel ?
J’ai « commencé » mon studio dès l’âge
de 14 ans, avec deux Revox et un dispatching fait main, composé de
fiches Cinch et d’une boite à chaussures (bally). Côté synthés, j’avais
un VCS-3, le premier a être livre en France (c’était en 66). A cette
époque, je poursuivais des études, et la musique n’occupait pas tout mon
temps. J’ai ensuite joué avec des groupes de rock, puis je suis entré
au G.R.M. (Groupe de Recherche Musicale, lire à ce propos l’interview de
J.M. Jarre parue dans D.I.S.C. N.51), et j’ai fait grossir mon matériel
au fur et à mesure de mes besoins. J’étais arrivé à 4 magnétophones
Revox (+ 1 qu’on me prêtait pour les mixages). Je faisais du 8 pistes
sans synchro, avec des bobines à poids identique, et des repères. Ca
fonttionnait étonnament bien, je pouvais travailler sur des séquences
allant jusqu’à 4 minutes, sans décalage. J’ai ensuite eu un Scully 8
pistes (sur lequel j’ai enregistré oxygène).
Mon studio actuel est
I’arrière petit fils du premier.
Les synthés étaient-ils déjà polyphoniques ?
Non, mais je me débrouillais pour
transformer le son des orgues et des string ensembles en prenant les
sorties et en les passant par des filtres pour en faire des sons
polyphoniques. Je suis passé en 16 pistes lorsque j’ai emmenagé dans mon
actuelle résidence. J’ai fait construire un véritable studio avec du
matériel MCI dont la fameuse console lH-600 avec automation, puis vint
le 24 pistes.
La credit list de ton dernier album stipule 48 pistes…
Oui, j’ai Ioué un 24 pistes Otari et un synchroniseur BTX.
Qu’en penses-tu ?
Le BTX est un objet fantastique. En
voyageant à travers les studios internationaux, je me suis aperçu que le
magnétophone MCI est celui qui me donne les meilleurs résultats. Avec «
Zoolook », j’ai vraiment testé beaucoup d’équipement (Neve, Studer,
Qtari, S.S.L.). Je n’étais pas vraiment content et j’ai finalement mixé
chez moi, sur MCI.
Je suis étonnée de ton jugement sur les machine Studer, c’est pourtant une excellente marque de magnétophones…
Oui, mais ils sont très complexes sur le
plan de l’électronique, et demandent plus de règlages et d’attention.
MCI est beaucoup plus simple, la console lH-600, par rapport à son prix,
et même dans l’absolu, est infiniment meilleure que la S.S.L.
Evidemment, je ne prends pas pour point de référence les automations où
S.S.L. est beaucoup plus évoluée, je parle de la transparence en matière
d’electronique, la console MCI a un minimum de barrières entre le
signal produit et celui restitué .
Ton « Home Studio » n’étant pas exploité
commercialement, je veux dire ayec de la clientèle, t’es-tu posé la
question de sa rentabilité ?
Pour moi, c’est complètement rentable,
mais je me poserais énormement de questions si j’étais dans la
configuration des studios qui sont prestataires de services. Je suis
assez pessimiste par rapport à la rentabilité d’un studio. Les
équipements se démodent rapidement, il faut un investissement enorme,
plus un temps de travail démentiel pour un ingénieur du son /
proprietaire qui doit avoir en permanence le livre de comptes sur les
genoux. En ce qui me concerne, la seule chose qui était faisable c’était
de monter le studio petit à petit, uniquement au fur et à mesure de ce
que je pouvais investir pour améliorer mon outil de travail. Ce studio
est né progressivement. Si je devais le reconstituer d’un seul coup, je
ne le pourrais pas, et ceux qui le font se retrouvent très vite avec des
soucis. lIs prennent de la clientèle exterieure, qui se sert plus ou
moins bien du matériel et le déteriore très vite. Moi je crois au Home
Studio s’il est rentabilisé par la production que I’on y fait. Mon
studio est un outil de création, et il ne s’améliore qu’en fonction de
ça.
Comment assures-tu la maintenance ?
J’ai toujours eu quelqu’un pour s’en
occuper, notre ami commun Michel Geiss, Pierre Mourey, et maintenant
Denis Vanzetto, qui travaille au studio de St Nom la Bretèche. Ces
personnes sont polyvalentes, elles assurent de la maintenance et de la
prise de son. Cela dit, la maintenance est un problème à cause de la non
disponibilité des pièces, conséquence d’un dollar élevé (peu de stock
chez I’importateur). La solution est donc de vivre en vase clos et
d’avoir sous la main (donc chez moi), un maximum de ces coûteuses pièces
détachées. Par rapport aux pays anglo-saxons, nous en sommes au
moyen-age. II faut parfois attendre 3 mois pour avoir une pièce ou une
réparation.
Ce n’est pas forcément la faute du pays.
Sais-tu que Sony France, qui représente M.C.l. depuis son rachat par la
firme japonaise, dépend de Sony Broadcast, en Angleterre ? Une commande
de pièces va d’abord à Londres, puis à Fort Lauderdale… Aux States, il y
a un dealer pour deux Etats, les pièces circulent donc plus vite, c’est
le système d’exclusivité qui est en cause, pas les gens !
O.K., mais c’est un handicap qui a des
répercussions dramatiques sur le plan de la création artistique. Pour
arriver à un degré de qualité ici, il faut faire des miracles. Aux
U.S.A., pour la même qualité, c’est le standard normal. A mon avis, la
grosse différence entre les deux pays, ce n’est pas une question de
talent, mais un problème de structure. Je te donne un exemple : tu
prends deux ingénieurs de niveau équivalent, I’un en France, I’autre aux
States, tu les laches dans la vie professionnelle. 5 ans après,
I’américain aura beaucoup plus évolué, Pourquoi ? Parce qu’il aura vécu
son métier dans un univers structuré, il se sera concentré d’avantage et
non éparpillé dans des galères. Si on ne prend pas conscience de cela,
on se retrouve face à des problemes de créativité.
Les choses semblent changer. On fait des efforts à la base, à I’ecole. Mais crois-tu que les hommes sont prêt, eux, à changer ?
Le côté débrouillardise, bout d’ficelle, ça fait partie de I’esprit français non ?
Je ne suis pas contre le côté bout
d’ficelle, quand on sait de quoi on parle. Malheureusement ici, on
discute de tout, et même de ce que I’on ne connait pas. Quand un gadget
nouveau sort chez Lexicon, tout le monde aux U.S.A. s’informe, I’essaie.
Ici, on lit un communiqué ou un compte-rendu de salon, on en discute,
et on I’achète quand on est sûr que le concurrent I’a déjà. On est des
sous-développés en matière d’audio. C’est plus un problème de
comportement.
Quel est ton point de vue en matière de numérique ?
Mon album a été mixé sur P CM F1 et
transféré sur le 1610 pour la gravure. Je suis pour le digital mais je
le mets à sa juste valeur. En 76 cm/s et demi pouce j’ai de meilleurs
résultats quant à la chaleur du son. II faudra attendre des systèmes 32
bits pour atténuer ces problèmes de découpage, qui donnent une certaine
froideur. Et puis, le multipiste numérique n’est pas rentable.
Parlons un peu de ton album « Zoolook »,
Qu’est ce qui a guidé le choix de l’emploi de différents langages
(hongrois, Eskimo, Pigmée, Malgache, Japonais etc ».), leur son ?
Tu as raison. C’est essentiellement pour
leur sonorités. Je n’ai pas voulu faire un disque ethnique. Ca
correspond à une vieille idée: travailler la matière vocale, non comme
un support de paroles, mais comme d’un instrument. C’est un peu comme
dans I’opéra. On connait généralement le livret, on s’intéresse à la
voix comme un élément de la musique.
En choisissant des langages aussi
variés, tu as pu découvrir des gammes de fréquences différentes de
celles auxquelles nous sommes habitués ?
C’est exactement cela, il y a des
fréquences qui font varier les tessitures. L’expérience était fort
intéressante, notamment au niveau du traitement des voix. Je m’explique :
si tu prends I’image d’un visage, et que tu commences à le déformer en
tirant dessus, ça devient très vite monstrueux. Avec les voix, c’était
pareil. Au fur et à mesure que j’explorais les possibilités, en
trafiquant le pitch vocal, j’aboutissais à de curieux effets, et cela
remettait en cause mon travail.
Entre « Oxygène » et « Zoolook », que de
chemin parcouru ! Et les critiques sont unanimement assez élogieuses en
ce qui concerne ce dernier album, As-tu conscience de faire évoluer les
habitudes du public ?
Je le souhaite, mais ce n’est pas à moi
d’en juger. Je ne considère pas ce disque comme difficile ou
experimental. Certes, nous sommes habitués à entendre de la musique
directement consommable, et cet album demande un peu d’attention. Voila,
nous nous sommes un peu égarés du studio…bien que… sans ce studio, sans
cette ambiance de travail, choisie avec tant de patience, « Zoolook »
n’aurait probablement pas vu le jour. En tous cas, pas comme ça
Gisele R. Clark
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