Si la cassette vidéo de sa plus récente production nous montre un Jean-Michel JARRE quelque peu déboussolé, ce n’ est la que pure fiction. L’artiste sait où il va, il maintient son cap: celui d’une recherche musicale intégrant I’informatique, la cybernétique à la musique. Résultat : un harmonieux cocktail musical à base de synthétiseur, son instrument fétiche. Planante, voila I’épithète qu’on peut accoler à sa musique. Lui qui se veut metteur en scène musical, il connaît son métier. Son paysage sonore flatte I’oreille. On apprécie ou on déteste 1′ originalité de ses compositions, question de goût et de sensibilité, mais en tout cas, elles ne suscitent pas I’indifférence.
II a besoin de sa tribu. -« Les artistes ont besoin de leur tribu, de leurs complices, de « l’Autre » livre-t-il. lIs ont noms: sa femme Charlotte Rampling, le photographe Jacques-Henri Lartigues, le peintre Jean-Michel Folon. Son univers inclut ses juke-boxes, son penchant pour le rétro, la nostalgie des années quarante ou cinquante. Côté biographie, son itinéraire se révèle très classique. Né à Lyon le 24 août 1949 d’une famille de musiciens, il gratte la guitare à 5 ans. Apres avoir décroché une licence de lettres, il aboutit au Conservatoire de Paris, puis se lance dans le rock et le pop. « Chaque époque doit avoir sa propre caisse de résonance, ses propres moyens de diffusion, ses médias… à la hi-fi, à la radio, à la TV doivent correspondre de nouveaux instruments, en l’occurrence ici le synthétiseur, qui est aussi authentique que le piano ou le violon. Comme eux, il permet d’exprimer toute la gamme des émotions et des perceptions. Pour toucher le public d’aujourd’hui, il faut se servir des médias d’aujourd’hui. » Et le public a réagi. Les 33 tours de Jean-Michel JARRE, Oxygène, sorti en 1976, Equinoxe, paru en 1979, se sont chacun vendu a 6 millions d’exemplaires ! Son talent, sa réussite commerciale nous font tiquer quand il avoue avoir hésité entre la peinture et la musique. Jean-Michel Jarre ne se cantonne pas au studio. II va a la rencontre du public. En 1971, il a été le plus jeune compositeur jamais joué à I’Opéra de Paris, ce temple de la musique classique livre pour un soir aux synthétiseurs. Le 14 juillet 79, un million de spectateurs applaudirent le concert donné place de la Concorde. Enfin, récemment, cinq récitals chinois ont séduit les foules pékinoises. Chaque fois le courant passe entre I’artisan de la musique électronique et le public emballé par ce son révolutionnaire issu d’un instrument du XXle siècle. Le temps n’est pas loin ou dans les académies de musique, on apprendra le solfège et le langage Basic ou Fortran. On lira les partitions sur l’écran de son computer domestique. Et les arpèges seront composés par microprocesseurs.,.
Dialogue à bâtons rompus
S.P. Jean-Michel JARRE. si vous deviez
vous situer aujourd’hui dans le domaine musical, avec qui vous
sentiriez-vous des affinités ?
J.-M. J. – II y a quelques années, il y
avait des tas de ghettos extrêmement forts comme le classique, le jazz,
ou le rock, C’était difficile de passer de l’un à l’autre. Maintenant,
grâce au disque, ils coexistent et cohabitent assez bien.
Personnellement, je me sens proche de compositeurs comme Mike Oldfield
ou même Stevie Wonder. Les instruments actuels permettent au compositeur
d’être son propre interprète, de tout faire, II s’exprime finalement
comme un écrivain, un sculpteur, un peintre ou même un dessinateur. En
définitive, il exerce son art de façon solitaire.
SP. – Le public est-il volontairement
hermétique à d’autres formes d’expression que celles qu’il aime et
auxquelles ii est habitué ?
J.-M. J. – Ce n’est pas volontairement,
Les médias catégorisant. Y a-t-il une musique facile qu’on aime et une
autre difficile que l’on doit comprendre ? Pas d’accord ! Cela dit, des
règles aussi contraignantes sont en vigueur comme à l’opéra. Le jean a
remplace le smoking, mais sur le plan des réactions, de l’état d’esprit,
c’est pareil. Et les médias amplifient ce phénomène. C’est de leur
faute si les amateurs d’opérette boudent le reggae ou vice versa. Les
genres sont trop cloisonnés.
SP, – Faites-vous la synthèse de différents courants musicaux ?
J.-M. J. – L’originalité est importante.
La nouveauté n’existe pas au niveau musical, mais bien dans les
instruments utilisés. L’artiste de l’Antiquité ou du Moyen Age
s’exprimait avec autant d’émotion que moi avec mon synthé ! Bien sur, je
possède un passif culturel, que je filtre et qui m’influence.
SP, – Et la musique planétaire ?
J.-M. J. – Je me suis toujours très
intéressé aux musiques extraeuropéennes, chinoise, indienne ou
africaine. La musique occidentale représente la majeure partie de cet
art d’un point de vue économique, mais pas du tout sur un plan culturel.
Ma musique planétaire franchit les frontières musicales via le disque
ou la cassette. Le synthétiseur s’adapte bien au haut-parleur, à la
radio, à la TV, moyens techniques largement répandus et qui ouvrent I’
ère de la culture de masse.
SP, – Votre musique est difficile à reproduire ?
J.-M. J, – Non, grâce au disque
justement. La reproduction de mes oeuvres pose évidemment un certain
nombre de problèmes techniques et économiques. Un progrès essentiel a
été accompli. C’est la première fois dans I’histoire de la musique qu’un
musicien voit sa création se concrétiser dans quelque chose de
tangible, de palpable, un 33 t. ou une bande magnétique. II y a un
siècle, I’ Oeuvre disparaissait au fur et à mesure de son exécution. La
partition mise a part, ce côté éphémère a été résolu.
« Mes cinq concerts en Chine ? Un choc pour les Chinois !»
Jean-Michel Jarre revient de Chine. II y
a donné cinq concerts, 2 à Pékin et 3 à Shanghai. II a crée là-bas un
véritable enthousiasme. La Chine d’après Mao renouait à cette occasion
avec la musique occidentale. Pendant la révolution culturelle, la
musique traditionnelle et occidentale, en effet, était frappée
d’interdit. Certains musiciens récalcitrants eurent les mains broyées,
car ils jouaient du Debussy ou du Ravel. Les récitals sont le
couronnement d’un travail long et minutieux.
SP. – Comment y es-tu arrivé ?
J.-M. J. – Un an de préparation durant
lequel j’ai fait des conférences pour expliquer mon projet. J’ai aussi
exécuté des miniconcerts au conservatoire de Pékin. Les musiciens
chinois ont collaboré. En partant d’une mélodie du folklore chinois,
j’ai crée une musique originale de 15-20 minutes, mélange des
instruments traditionnels les plus anciens et des synthétiseurs les plus
modernes. lIs se marient très bien. On a répété par cassettes
interposées jusqu’au résultat final.
SP. – Et les réactions ?
J.-M. J. – Pas de mauvaise surprise ni
de déception. Bien au contraire, la popularité et le succès. Pour eux,
il s’agissait d’une véritable révélation. lIs sont tellement avides de
modernisme qu’ils ont accroché sans peine à la musique électronique. En
fait, ils abordent la télématique en sautant toutes les étapes de
I’industrialisation dans lesquelles nous, les Occidentaux, nous nous
sommes englués. Pour moi, c’était I’occasion unique de jouer devant un
public vierge. Les Chinois ne connaissent rien à notre musique. les
Beatles, les Stones, jamais entendu parler ! lIs sont passés du luth à
I’ordinateur sans transition, du 19è au 21è siècle.
SP. – Qu’est-ce qui les a le plus attirés ?
J.-M. J. – Le fait que la musique est
complètement électrifiée les a étonnés. L’animation lumineuse les a
ravis. les lasers passaient des mots français et des idéogrammes
chinois. Les rayons font partie intégrante du spectacle. L’équipe au
grand complet s’était déplacée : 60 personnes et 16 tonnes de matériel.
Les concerts ont retransmis en direct à la radio et à la télé, d’où 500
milions d’auditeurs ! Visuellement, le show laser les a enthousiasmés.
Il ressemble à la version ultra-moderne du feu d’artifice inventé par
leurs lointains ancêtres. Et 47 ordinateurs, ça impressionne, non ?
SP. – Cette aventure aura-t-elle des suites ?
J.-M. J – Mon prochain disque sera
sûrement influencé par le son chinois. Toute ma tournée a été filmée et
un concert retransmis sur Europe I.
Le timing fixé par son imprésario lui
coupe la parole. L’interview se termine, faute de temps. Monsieur Jarre a
d’autres journalistes à rencontrer, et ce soir, il passe à la télé.
BIouson de cuir rouge, Jean, les cheveux noirs mi-Iongs tombant sur les
épaules, yeux marron, il parlerait bien des heures. Dommage, ce petit
côté homme pressé. Quel nouveau bouleversement musical nous réserve-t-iI
? !
Bernard MEEUS
No comments:
Post a Comment