13/10/2012

On a testé... Jean-Michel Jarre



Publié le: 14 septembre 2011
Par Romain Thuret
Nous avons profité de la présence de Jarre Technologies à l'IFA de Berlin pour nous entretenir avec son fondateur, Jean-Michel Jarre. Le musicien et électro-compositeur nous livre sa vision du marché du son, des sources, des produits et de SES produits, présents et futurs. 


Illuminer les pyramides d'Égypte tout en noyant 115 000 personnes de sons et lumières et lancer 11 ans plus tard un dock iPad de 3,4 mètres de haut, 10 000 watts à 400 000 euros, finalement, cela peut avoir du sens et une certaine cohérence.

Jean-Michel Jarre et sa démesure technique envahissent ainsi depuis deux ans le monde en dur de la hi-tech avec des produits audio - regroupés sous la bannière Jarre Technologies - destinés à s'imposer dans le haut de gamme de la station d'accueil musicale. Un soldat de la musique électronique au service (au secours ?) de la musique numérique, en somme.


Et comme en 2010 avec le lancement officiel de Jarre Technologies et du dock tubulaire AeroSystem One, l'artiste revient en terres berlinoises pour faire un nouveau show lors de l'IFA 2011. Les armes ? Un dock iPad titanesque (AeroDream One), donc, pour marquer les esprits et créer une image, et deux docks iPad/iPad/iPhone, les AeroPad One et AeroPad Two (voir encadré).

Pour l'occasion, nous avons pu nous entretenir quelques longues minutes avec Jean-Michel Jarre, sans chichi, autour d'un soda et d'une armée d'AeroSystem One. Très accessible, plutôt décontracté avec son costard débraillé et ses Reebok aux pieds, il nous livre sur canapé sa vision de la hi-tech au service de l'audio, nous explique le pourquoi du comment de Jarre Technologies et largue quelques points de vue bien sentis sur le monde de l'audio du XXIe siècle.



Vous lancez une enceinte-dock iPod/iPad à 400 000 euros, l'AeroDream One, quelle est l'intention derrière un tel produit hors normes ?

L'AeroDream One est avant tout le successeur, imposant il est vrai, de l'AeroSystem One, ma première création. L'idée est toujours la même : réconcilier les gens avec le côté émotionnel du son. Et cette échelle en aluminium, bien qu'elle serve à atteindre le sommet, je l'ai voulue ainsi de telle sorte qu'elle symbolise ces échelles que l'on retrouve dans les immenses bibliothèques anciennes. Pour symboliser une accession à la connaissance, à la quintessence de la musique.

Y a-t-il réellement un public visé par un tel produit ?

Bien sûr, c'est un système de 10 000 watts, à un prix très élevé, élitiste et une taille folle... il serait fou de vouloir en faire un produit de grande consommation ! (rire) L'AeroDream One s'adresse avant tout aux très grands espaces, aux salles, aux événements type concerts ou show de DJs.

Mais j'espère en tout cas qu'il peut ouvrir les yeux et les oreilles des gens sur des écoutes plus émotionnelles, moins métalliques, que l'on peut retrouver sur les autres produits Jarre Technologies, plus accessibles. Et si quelqu'un de fortuné a un espace à occuper dans son loft, il y a l'AeroDream One !


 Les produits d'aujourd'hui sont-ils tous trop mauvais pour que vous sortiez vos propres appareils ?

On peut dire ça comme ça, oui. Attention, tout n'est pas à jeter, surtout dans la véritable Hi-Fi, mais la donne a changé aujourd'hui en ce qui concerne l'écoute de la musique pour le grand public, allant même jusqu'à toucher les audiophiles.

Il faut absolument faire revenir le public aux fondamentaux. Nous sommes au XXIe siècle et pourtant, j'ai l'impression que, concernant la musique, nous régressons chaque jour un peu plus. La chaîne Hi-Fi a été remplacée par des enceintes en plastique, des docks bon marché, ou chers mais mauvais, bâtis dans des matériaux pauvres.

Les modes de consommation de la musique ont changé. Le mobile et le baladeur ont-ils tué la musique ?

Mobiles, baladeurs numériques, chaînes... tous ces produits ne sont que des véhicules. Le vrai fléau, et je l'ai toujours dit, c'est le MP3, qui est venu gangréner tout le secteur audio. Parce que, soyons clairs, le MP3, c'est vraiment le 78 tours de la musique numérique !
La musique mal encodée a vite proliféré. Elle était vite téléchargeable, compressée jusqu'à la moelle. Le MP3 a alors accéléré une mutation inévitable avec l'explosion d'Internet : nous sommes devenus des archivistes de fichiers musicaux, plus que des mélomanes avertis. On joue à celui qui entassera le plus de chansons dans un disque dur pour au final en écouter très peu et la plupart du temps en mauvaise qualité. On ne reçoit plus le son, on l'empile. Avec Jarre Technologies, j'essaie, à mon échelle, d'inverser la tendance ou tout du moins de produire l'effet acoustique et émotionnel inverse que ce que nos produits de poche nous ont habitués à entendre depuis 15 ans.

Justement, ce jugement dépréciatif vous l'aviez déjà à l'apparition du CD, puis du MP3 donc, en clamant que le vinyle était la seule source viable. Peut-on tout de même avoir un espoir dans la musique numérique ?

L'espoir ?! Bien sûr qu'il y en a un : la bande passante ! On ne parle que des problèmes de téléchargements illégaux, de Hadopi, de vidéo streaming, etc. mais on oublie qu'avec la fibre et cette bande passant extra-large, on obtient le terrain idéal pour faire transiter des tonnes de musiques encodées convenablement. Télécharger un fichier musical 24 bits en 96 ou 192 KHz est aujourd'hui aussi rapide qu'un pauvre MP3. Le public et les fournisseurs n'ont plus d'excuses. Avec de tels fichiers, on peut revenir à des niveaux de qualité équivalents à l'analogique.


En dehors de la source, n'y a-t-il pas d'autres solutions pour le grand public, pour retrouver cette « émotion » ? Par exemple, les éléments de studio, les enceintes de monitoring, qui sont absolument neutres, ne sont-elles pas l'alternative idéale ?


Je ne cesse de militer dans ce sens. Avec l'AeroDream One, j'essaie de m'approcher le plus possible de la neutralité. Et ce produit, tout comme l'AeroSystem One, produisent de vraies basses acoustiques, via le tube d'air et pas un ersatz simulé par l'électronique.

Les basses ne viennent alors pas polluer mediums et aigus, chacun opère dans son domaine et rien n'est recréé artificiellement.

Mais revenir à des écoutes neutres est difficile aujourd'hui, surtout face à un marché qui ajoute des effets sur tous ses produits et qui trompe l'utilisateur.
Si le public ré-écoutait ses pistes préférées sur une restitution neutre, une grande partie découvrirait des morceaux totalement différents.

Vous trichez aussi un petit peu, puisque vous faites du stéréo dans un seul bloc avec l'AeroSystem One !

Oui... et non ! Les deux haut-parleurs dans le tube sont positionnés à 120 degrés. On peut dire que l'illusion, comme la restitution, est parfaite. Mais vous soulevez un autre point concernant mes produits. Au tout début de Jarre Technologies, j'avais conçu une enceinte-dock... mono. Un « Monopod ». Après tout, une guitare, une flûte, une basse, un instrument, c'est du mono ! C'est notre perception de l'espace et notre positionnement à l'intérieur qui nous a poussés à développer du stéréo à tout prix. Mais finalement, en a-t-on vraiment besoin ?

Au-delà du neutre et du mono/stéréo, il y a le multicanal que vous utilisez depuis longtemps pour les captations de vos performances. Pensez-vous qu'il y a un avenir dans la musique pure ?

Tout d'abord, en termes de source, il y a aujourd'hui très peu d'œuvres en réelle version multicanal, c'est-à-dire où la captation-même s'est effectuée de la sorte. Trop souvent une captation basique est annoncée « 5.1 » ou « Surround » alors que tout a été fait après coup.
Pour la technologie en elle-même, j'en suis un fan absolu ! Je pense d'ailleurs être le seul qui ait produit un CD entier en multicanal, dès la prise de son.

Le problème, ensuite, c'est la restitution. L'idéal d'une écoute de ce genre, pour le public, est le salon. Or l'installation multicanal telle qu'on la retrouve aujourd'hui dans la plupart des foyers est une aberration et revient à placer les enceintes arrières sur les côtés du canapé et à mettre le caisson de basses quelque part sous un meuble ou sous le canapé.



Il faudrait replacer l'assise au milieu de la pièce et des éléments acoustiques et virer ce subwoofer de sous le canapé pour le repositionner en face du point d'écoute, pour avoir un bon départ. Avec l'AeroSystem One en double exemplaire, par exemple, nous simulons très bien un ensemble 4.2. Pour la cohérence de l'ensemble sonore, viennent alors tout un mix de retard de diffusion et de déphasage (certaines fréquences sont traitées spécifiquement pour ne pas créer d'interférences et parasiter d'autres sonorités)

Vous êtes avant tout un artiste et un musicien. Pourquoi avoir choisi de lancer des produits de ce genre ?

Mais justement, la création de Jarre Technologies est très logique et légitime ! Voyez les réalisateurs de cinéma, ils sont extrêmement soucieux de la manière dont vont être projetés leurs films. Pourquoi alors les musiciens et artistes n'auraient pas le droit de se sentir concernés par les outils qui diffusent leurs musiques ?

Il faut que d'autres me suivent dans ma démarche, que l'on soit DJ, chef d'orchestre ou créateur de musiques électroniques, la chaîne Hi-Fi et le dock ou le casque sont nos instruments, nos espaces d'expression. Il est important que les artistes s'y intéressent de plus près.


Plutôt que de prendre des risques avec Jarre Technologies, pourquoi ne pas avoir sollicité une marque déjà présente. Plusieurs d'entre elles ont même déjà dû vous approcher, non ?

Depuis de nombreuses années, des tas de constructeurs hi-tech m'ont contacté. Et moi, déjà dans l'envie de développer des systèmes sonores, j'étais ravi. Mais au final, ce genre de « travail en commun » aboutit toujours par la proposition d'un gros chèque contre une signature Jean-Michel Jarre sur un produit.

Et franchement, simplement apposer mon nom sur un appareil qui n'apporte rien, ce n'est pas ce que je recherche. Il faut que le projet serve la technique... et que la technique fasse progresser le plaisir des écoutes... cette émotion que je recherche toujours.

Si les créations de l'AeroDream One et surtout des AeroPad One/Two et AeroSystem surviennent pour remplir un vide qualitatif sur les docks, les changements de mœurs audio qui vous y ont poussé affectent également les casques...

Tout à fait ! Et c'est un fléau ce que l'on vend aujourd'hui, surtout aux jeunes ! La plupart des produits fermés que l'on trouve sur le marché sont conçus de manière inconsciente et représentent un danger constant pour toutes les oreilles. Il y a le manque de qualité, c'est sûr, mais aussi et surtout le volume. Tout est trop fort, les basses faussement créées qui cognent dans les conduits auditifs, ce n'est pas possible ! Regardez, par exemple, ce que donnent les produits « Beats ». De grosses machines à faire du bruit qui simulent des basses électroniquement. Électroniquement ! C'est impossible et franchement peu glorieux.

Ajoutez à cela la mode de l'isolation totale, encore plus dangereuse physiologiquement et qui, en plus et tant pis pour les constructeurs, amplifie les défauts des produits. La musique ne s'exprime plus ici, parfois ce n'est que du bruit. C'est réellement un sujet qui me tient à cœur, car si les docks ont surtout besoin de gagner en qualité, les casques, fermés ou non, doivent déjà arrêter d'agresser leurs porteurs.

Vous parlez comme quelqu'un qui a une solution...

Vous avez raison. C'est l'étape d'après et c'est logique. Cela fait maintenant plus de deux ans que j'y travaille, avec mes équipes. Nous étudions un mode original de restitution, non agressif, harmonique, qui n'oblige pas à pousser le volume. J'ai beaucoup d'espoir dans ce projet, d'autant que les avancées techniques sont rares sur ce marché.

Cette solution, ce casque, je le présenterai l'an prochain, en 2012, si tout va bien. Ce sera un produit d'un genre nouveau, moins fondé sur le numérique que sur l'acoustique pure, tout en insérant du design. Le confort est également primordial. Comme sur l'AeroDream One ou l'AeroPad, le concept doit allier performances acoustiques et design travaillé. Et bien sûr, les matériaux pauvres seront bannis !

Et en attendant votre création, vous devez bien écouter de la musique sur un casque ? Avez-vous des préférences ?

(Rires) Bien sûr, même si cela reste difficile de trouver un casque d'assez bonne qualité pour le garder longtemps sur les oreilles. Je suis un peu vieux de la vieille concernant les produits Sony professionnels, que l'on trouve dans toutes les stations de radio et les studios. Cela va du mythique DR45 au ZX75. Des casques à l'écoute neutre en somme. J'y suis assez attaché.
Comme je voyage beaucoup, j'utilise un casque à réduction de bruits. Et là, ma préférence va sans aucun doute au Bose QC15.

Et en dehors des casques, vu votre engagement dans ce que vous proposez aujourd'hui, je suppose que vous avez...

Un iPhone, oui (il le sort) ! Je suis un fan absolu de Apple : iMac, iPhone, iPad... tout y passe. C'est ma secte définitive. Je suis donc concerné par les manques de ce marché audio et, du coup, je suis mon premier client lorsque je conçois un AeroSystem, un AeroPad ou un futur produit !

De l'Aero pour tous les "pad" 

En plus de l'AeroSystem One et de son immense sœur AeroDream One, Jarre Technologies peut désormais compter sur les docks AeroPad One et AeroPad Two. Ces docks, conçus avant tout pour les iChoses de Apple (iPad/iPod Touch/iPhone), peuvent aussi être raccordés avec des baladeurs d'autres marques.
Les deux modèles disposent ainsi d'une entrée Jack 3,5mm et d'un port USB 2.0 compatible WMA, MP3, WAVE et AIFF.

L'AeroPad One est une station verticale d'une puissance de 120 watts pour 2 haut-parleurs, contre 200 W pour l'AeroPad Two, qui la joue dock horizontal avec 4 haut-parleurs. Tous deux disposent d'un subwoofer de respectivement 60 et 80 watts.
L'AeroPad One sera disponible cet automne pour 499 euros, tandis que l'AeroPad Two sera commercialisé au prix indicatif de 699 euros. Des produits garantis "Zéro Plastique".


Source: lesnumeriques

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