15/06/2012

EQUINOXE - 1998

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La musique de Jean Michel Jarre a toujours eu un caractère exceptionnel mais lorsqu’on demande aux fans de citer leur album favori, c’est souvent Equinoxe qui arrive en tête. Bien sûr, l’ensemble de la musique de Jarre atteint toujours des sommets et il est souvent hasardeux de vouloir faire des comparaisons entre des albums qui offrent, chacun à leur manière, une esthétique et une expression musicale hors du commun. Mais cela ne doit pas nous empêcher de voir en Equinoxe un album d’exception qui, vingt après, suscite toujours autant d’admiration et d’émotion. Alors puisque nous fêtons son vingtième anniversaire, replongeons nous dans l’univers d’Equinoxe pour tenter de comprendre ce qui le rend si extraordinaire.
Avec le succès mondial d’Oxygène en 1977, Jean Michel Jarre est arrivé à l’un des carrefours essentiels de sa carrière. Même s’il ne sait pas de quoi l’avenir sera fait, il prend la décision de continuer sur sa lancée en proposant un deuxième album de la trempe d’Oxygène. Parallèlement, il achève son travail pour les chanteurs après la production du disque Paris by Night de Patrick Juvet qui, chose amusante, rencontrera lui aussi un énorme succès. Il semblerait donc qu’alors Jean-Michel choisisse définitivement sa voie ; l’avenir le confirmera...
Pourtant, en 1978, on n’est pas encore en mesure d’affirmer que la carrière de Jarre ne s’arrêtera pas aussi brutalement qu’elle a commencé : Oxygène a été un succès mais si l’album qui lui succède ne se révèle pas à la hauteur, l’artiste pourrait très bien finir aux oubliettes... C’est dans cet environnement que Jean-Michel doit créer Equinoxe : alors qu’il avait composé Oxygène dans la tranquillité de l’anonymat, il doit désormais travailler sous les yeux d’un public immense et passionné, à l’image du tableau « Le Trac » de Michel Granger qui viendra illustrer la pochette de ce nouvel album.
Heureusement, Jean Michel Jarre n’a pas perdu sa détermination artistique et on pourrait presque croire que le succès l’a exacerbée... Jean-Michel a plein d’idées en tête : il est satisfait d’Oxygène mais pense qu’il peut encore aller plus loin. L’orchestration devra être plus fournie, les parties plus développées, plus rythmées et les ruptures plus importantes. Oxygène évoquait l'air et le souffle de la liberté. Jean-Michel veut maintenant faire une musique plus énergique, plus organique et plus aquatique. En réalité, le son de la pluie le fascine : « cette musique-là est celle de l'émotion. Elle évoque aussi notre impuissance face à la nature. Comme quelque chose d'intemporel qui nous rappelle chaque jour notre fragilité ». Il double sa collection d’instruments électroniques et repart pour quelques mois de composition bouillonnante...
« Equinoxe » est sans doute un titre encore plus mystérieux que le précédent. Il nous évoque simplement les grandes marées et cette idée d'équilibre éphémère entre le jour et la nuit... Apparemment, cette dernière idée se rapproche de la seule piste que veux bien nous donner son créateur pour interpréter ses volontés : « J’ai voulu évoquer l’écoulement des vingt-quatre heures d’une journée, chaque partie de l’album représentant un moment différent du jour et de la nuit. » Bien sûr, comme pour Oxygène, c’est à l’auditeur de s’approprier cette musique pour l’interpréter et même l’utiliser comme bon lui semble : « Je veux que les gens se servent de mon disque pour le passer à différents moments de la journée et quand ils sont d’humeurs différentes. »
Il s’agit d’une vision expérimentale et pleine de vie, présentée sous une structure analogue au disque précédent. L’album n’est plus divisé en six mais en huit parties, ce qui facilite peut-être la division de nos vingt-quatre heures ! Malgré ce découpage, Equinoxe est un chef d’œuvre de l'unité : les ambiances sonores ont d'un bout à l'autre un très fort lien de parenté et les morceaux s’enchaînent avec une perfection inégalée.
Equinoxe, contrairement à Oxygène, débute par une courte introduction. La première mélodie, lente et saccadée au départ, s'accélère rapidement et atteint un rythme assez élevé. Une deuxième mélodie se superpose alors à la première et s'accompagne de glissandos qui se répondent comme un écho. C’est une ouverture pleine d’énergie qui inspire l’émotion du grand départ pour le fabuleux voyage électronique. C’est peut-être aussi, dans notre journée, le moment du réveil, quand les yeux s’ouvrent, que le cœur palpite et que la réalité prend le relais du rêve... Quoi qu’il en soit, il est difficile de ne pas être réveillé par de tels flux et reflux sonores. Puis la séquence ralentit son tempo et nous entrons dans l'atmosphère merveilleuse de la partie 2.
Celle-ci contraste avec la première par sa lenteur et l'attaque extrêmement douce des sonorités. C'est un mouvement très fluide, basé sur un nombre important de lentes glissades sonores. L’auditeur flotte alors sur la finesse des ondes tel un bateau au milieu de l’océan. De légers crépitements, des sons qui rebondissent subtilement viennent, entre autres, agrémenter le commencement de cette journée synthétique.
L’ambiance de ce passage est unique, c'est sans doute l’un des morceaux lents les plus profonds de Jean Michel Jarre. On y retrouve une certaine mélancolie contemplative qui le rapproche d'Oxygène 1, au sein d’un travail de composition exceptionnel où la musique prend des allures de mouvement fluide insaisissable.
Mais les crépitements s'accélèrent et s'amplifient. L'eau coule dans les haut-parleurs ! On n'avait pas encore imaginé que de telles sonorités pouvaient en sortir...
Jean-Michel nous invite à la première valse électronique. Equinoxe 3 est une partie très impressionnante : une richesse sonore incroyable se déploie sur un rythme à trois temps qui nous fait tourner la tête. L’harmonie féerique du bal des sons plonge nos oreilles dans l’extase. Au bout d’un certain temps, intervient une rupture qui s'accompagne de tintements de cloche : l’heure de l’apothéose aurait-elle sonné ? En attendant, les crépitements s'estompent, les glissandos prennent le dessus, les timbres évoluent et nous fondent dans un univers mouvant et terriblement bouillonnant. On commence à percevoir un rythme nouveau qui nous annonce la quatrième partie...
Les percussions apparaissent. Une séquence rapide les accompagne ainsi qu’une lente mélodie interprétée à l'Eminent (les sons de violons). Puis Jean-Michel entame la mélodie principale. Elle est rapide et jouée avec un timbre à la fois doux et offensif. Les deux mélodies sont alternées. L'esprit de ce mouvement est proche d'une sorte de recueillement nerveux, de méditation sérieuse et passionnée. A un moment survient une pause  : Jean-Michel tourne quelques boutons et module un son pendant quelques secondes. L'effet produit est loin d'être négligeable : on a l'impression d'entendre le discours d'un extra-terrestre... Puis la mélodie reprend une dernière fois. Elle est suivie d'un long finale encore plus riche en sons, avec notamment, un chœur de synthèse et une soprane électronique. On n'en croit pas ses oreilles.
Equinoxe 4 reprend la structure d'Oxygène 2 : on y retrouve l'alternance d'une douce mélodie et d'un thème principal très percutant, suivie d'un long finale qui est l'occasion pour Jean Michel Jarre de faire ressortir complexité et diversité sonore. C’est un morceau réellement exceptionnel, un concentré de génie dans une incantation électronique, à la fois énergétique et planante, absolument unique et universelle. Il est en effet difficile d’échapper à la fascination qu’engendre cette musique qui, à sa manière, atteint une forme de perfection...
La partie 5 tente de prendre la relève du fameux « Oxygène part 4 ». C’est donc un morceau court et rapide, un concentré de sons et d’énergie. Le souffle d'Oxygène est remplacé par le tonnerre, ce qui résume bien cette idée de garder la forme en changeant le fond. La mélodie, assez simple, subit un écho important, comme pour Oxygène 4. Bien sûr, elle est ornée d’une myriade d'effets sonores et de séquences très rapides. D'Equinoxe 5 se dégage un sentiment d'optimisme qui reprend peut-être plus clairement l'esprit d'évasion d'Oxygène. C'est un morceau qui nous évoque le progrès avec confiance et nous propulse dans une grande marche en avant. Ici encore, l’intégration des effets sonores et mélodiques est parfaite.
La partie 6 s'enchaîne de façon admirable en gardant les éléments rythmiques qui précédaient. Mais ceux-ci vont cette fois servir de support à un extraordinaire amusement sonore. La mélodie disparaît. Par contre, Jean Michel Jarre va superposer une quantité phénoménale de sons et de séquences, jouer avec les timbres, effectuer des variations et dévergonder la stéréo. On remarquera en particulier un son vraiment formidable qui nous évoque celui d'une plaque métallique que l'on secoue. Tout ceci se superpose extraordinairement puis finit par se dissiper pour nous faire entendre un solo de basse au synthétiseur, toujours basé sur le rythme initial. Tout ce passage met bien en évidence le caractère expérimental et ludique de la musique de Jarre. A une époque où le jeu vidéo prend son essor, Jean Michel Jarre s’adonne au jeu audio...
A un moment, la mélodie à la basse se stabilise et sans le savoir nous nous retrouvons déjà dans la septième partie, avec son extraordinaire contraste entre un rythme élevé et une lente mélodie planante qui s'installe dans un ton plutôt triste et mélancolique. Mais son évolution introduit finalement un sentiment d'espoir qui croît au fil du temps et nous redonne une énergie optimiste. Peu à peu, Jean Michel Jarre ajoute différents éléments : accompagnements vocaux, souffles rapides, panoramiques, changement progressif de timbres, séquences allant du très grave au très aigu.
C’est une alchimie saisissante entre la danse rituelle et la prière intense grâce à laquelle Jarre fait évoluer les sentiments de l’auditeur avec une rare subtilité. Au bout d’un certain temps, la mélodie stagne, les notes s'allongent, d'autres sons apparaissent pour engager une longue descente vers la dernière partie. C'est encore le moment de découvrir les derniers effets époustouflants, toujours sur le rythme d'Equinoxe 5 : les trois parties se sont enchaînées d'une manière fascinante à croire que Jean Michel Jarre a voulu nous proposer trois variations sur un même rythme.
Un violent orage vient rompre cette continuité (ceux qui avaient dit que le temps était lourd au début de la partie 5 ne s'étaient pas trompés...). Malgré le vent,la pluie et le tonnerre, une fanfare arrive par la gauche. On distingue bien le tuba, la grosse caisse... Ce passage sera plus tard intitulé « L'orchestre sous la pluie », un titre plutôt révélateur de cette atmosphère éphémère, subtile et pleine de poésie. Même les grenouilles électroniques accompagnent notre petit orchestre, qui s'éloigne maintenant, après s'être arrêté un moment devant nous. Equinoxe ne se termine pas ainsi. Jean-Michel y ajoute une courte conclusion : une mélodie forte et nostalgique, qui n'est rien d'autre qu'une variation sur le thème de la partie 5, un dernier clin d’œil pour marquer l'unité de cette fabuleuse symphonie électronique.
Vingt ans après sa sortie, Equinoxe est encore une musique remarquable, grâce à la richesse et à la chaleur de son orchestration, grâce à ce contraste entre une unité, un équilibre parfait et une variété de tons, de rythmes et de mélodies. Il s’agit donc d’une œuvre complexe intégrant à la fois l’essentiel de ce qu’on peut attendre d’une composition classique et bien plus de surprises que sa modernité ne pouvait en promettre à l’époque de sa création. C’était assurément une musique visionnaire.
Aujourd’hui, l’album Equinoxe est toujours aussi étonnant et il le sera probablement encore demain. C’est une sorte de thermodynamique sonore avec ses flux d'énergie, ses changements de pression où les rafraîchissements aquatiques bienfaisants se mêlent à des moments d'intense chaleur orageuse, excitations des molécules sonores. C’est sûrement l’une des œuvres musicales dont se dégage le plus fort charme poétique tant la part de rêve qu’elle suscite est importante. Et c’est sans doute cette incroyable osmose entre la musique et notre imaginaire qui permet à Equinoxe d’exercer une si grande fascination.

Frédéric Esnault

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(extrait d'Oxygène n° 2, juin 1998)

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