Deux mois quasiment jour pour jour après la Nuit Electronique
au Champs de Mars, Jean Michel Jarre nous propose de passer une Nuit iMac
en musique et images 3D. L’iMac, c’est le nouvel ordinateur du constructeur
Apple, et en tant que fidèle utilisateur, Jarre a profité
de l’occasion du salon annuel pour tenter une nouvelle expérience.
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Les
organisateurs d’Apple Expo ont fait appel à Jean Michel Jarre pour
démontrer les capacités graphiques et multimédia du
nouveau produit. L’engin se veut novateur, le concert se doit donc de l’être
aussi ! Finies les images plates, ces diapositives que l’on projetait jusqu’à
présent sur de simples toiles, les images prennent désormais
du relief et en deviennent presque palpables. D’un côté, les
responsables d’Apple ont droit à la plus spectaculaire des démonstrations
que l’on puisse voir dans le cadre d’un salon. Il s’agit donc d’une formidable
idée en termes de promotion du produit et de la marque. De l’autre,
Jean-Michel se donne l’occasion d’aller encore plus loin dans la réalisation
graphique de ses concerts puisque les concepts d’X<>Pose et JArKaos
se concrétisent désormais en trois dimensions. L’idée
flottait peut-être dans l’air depuis un moment mais cette fois, ça
marche vraiment et le résultat est on ne peut plus impressionnant...
L’annonce de ce concert a été discrète, trop peut-être
; une page de publicité dans Keyboards Magazine, une mention sur
le site Internet d’Apple, autant dire que seuls les inconditionnels de
Jarre et les mordus du Mac en ont eu connaissance ! Pour avoir la chance
d’y assister, encore fallait-il au préalable poser son inscription
par Internet puis venir retirer son invitation dans le hall d’exposition
pendant le salon. Les spectateurs de l’iMac Night, se doivent d’être
branchés. Ce parcours du combattant pour obtenir l’invitation est
à déplorer car bon nombre de fans déçus par
le concert du 14 juillet auraient eu l’occasion d’apprécier la qualité
de ce nouveau spectacle et peut-être de revenir sur un jugement pris
un peu trop vite cet été. Car malgré les apparences,
ce concert était gratuit et ouvert à tous.
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Le
lieu a facilement été trouvé : ce sera l’un des grands
halls du Parc des Expositions de Paris, Porte de Versailles, à proximité
du salon Apple Expo proprement dit. Les organisateurs prévoient
initialement 6000 personnes, puis on parle de 12 000 pour finalement s’arrêter
sur le chiffre de départ. Techniquement, le nombre est contraint
par les capacités du hall d’accueil et le nombre de lunettes polarisées
qu’il est possible de commander. Car pour apprécier pleinement l’événement,
chaque spectateur doit disposer de sa paire de lucarnes en carton et plastique.
La veille du jour J, Jean Michel Jarre et son équipe ont beaucoup
répété. Ce qui aurait pu au départ n’être
qu’une simple démonstration, aussi spectaculaire soit elle, s’est
finalement métamorphosé en concert. Du coup, Jarre et son
équipe se voient obligés de travailler d’arrache-pied pour
préparer l’ensemble. Du point de vue musical, le but n’est peut-être
pas de faire original mais au moins d’offrir au spectateur quelque chose
d’un tant soit peu vivant pour que l’expérience soit vraiment unique.
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Le
lendemain, vers 17 h, on retrouve les têtes habituelles devant l’entrée
du hall 8. Jean-Michel est déjà là et les portes béantes
laissent passer les notes d’une ultime répétition. Petit
à petit une file disciplinée se forme le long du bâtiment.
Des barrières métalliques ont été dressées
autour de l’entrée afin de préserver un espace pour la sécurité,
mais bien vite force est de constater que l’organisation laisse un peu
à désirer. Vers 20 h, en effet, une foule compacte vient
s’amasser devant ces barrières. Du coup, les premiers arrivés
se retrouvent relégués derrière la foule, exceptées
peut-être quelques personnes qui s’étaient scotchées
aux barrières dès le départ. Devant, c’est la bousculade.
La foule déjà dense doit se serrer davantage afin de laisser
passer... une camionnette ! Ce soir-là, des dizaines de personnes
ont été à deux doigts de se faire écraser les
orteils. Les VIP ont eu droit au même traitement. Malgré une
énorme enseigne affichant en gros caractères « V.I.P.
» à l’entrée du hall, toutes ces personnes se sont
retrouvées à l’extérieur, mélangées
à la foule, faute de barrières servant habituellement à
orienter les spectateurs. L’homme de la sécurité chargé
d’ouvrir les accès arrive alors, invitant l’ensemble des VIP à
entrer immédiatement. Aussitôt un ballet de mains brandissant
invitations, passes, badges, accompagné de « pardons »,
« laissez passer » et autres « excusez-moi » se
met en mouvement. La barrière s’ouvre et se ferme : les privilégiés
passent au compte goutte après avoir pris leur respiration tandis
que l’impatience se fait de plus en plus ressentir parmi les spectateurs
irrités par tout ce va-et-vient fort désagréable.
Au bout d’un long quart d’heure, la foule peut enfin accéder à
la salle.
L’entrée, avec ses murs entièrement recouverts par les
affiches de l’iMac, est un passage obligé. Là, de ravissantes
hôtesses distribuent les indispensables lunettes qui vont nous permettre
de voir les images en relief. Puis on accède au hall. La salle est
très grande. Tout au fond, à l’opposé de l’entrée
on aperçoit la scène qui occupe quasiment toute la largeur
du bâtiment. En traversant la salle on relève à mi-parcours,
à gauche et à droite, deux zones aménagées
pour les VIP et au beau milieu du hall trône la régie au centre
de laquelle les joueurs d’images prendront position derrière leurs
incontournables Apple Macintosh.
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Comme
d’habitude, les premiers rangs sont aussitôt occupés par les
plus motivés tandis que derrière la salle se remplit lentement.
Le flux des nouveaux arrivants cesse malgré tout assez vite. La
foule se répartit uniformément, certains s’assoient à
même le sol, d’autres se baladent. Finalement, la tension du dehors
retombe pour laisser place à une atmosphère plutôt
bon enfant, une sorte de grande retrouvaille après le concert du
14 juillet. Les images créées en direct sur les Macs sont
retransmises sur cinq écrans spéciaux installés au
fond de la scène, via d’énormes projecteurs vidéo
capables d’envoyer deux images simultanément, l’une pour l’œil droit
et l’autre pour le gauche. Les lunettes doivent permettre à chaque
œil de percevoir l’image qui lui est destinée. Le décalage
entre ces deux images permet au spectateur de percevoir le relief. (Pour
plus de détails, se reporter à l’article correspondant de
ce numéro). Justement, à peine quinze minutes avant le début
du spectacle l’un de ces projecteurs rend l’âme. Il faut le remplacer
à la dernière minute et faire vite. A droite de la scène
les techniciens s’agitent. On tire, on hisse, on pousse... Finalement l’attente
n’aura pas été trop longue et les lumières s’éteignent.
Le concert peut commencer. L’occasion pour nous de rendre hommage à
tous ces messieurs de la technique pour leur compétence, leur courage
et leurs sueurs chaudes et froides.
Jean-Michel arrive sur scène, micro en main. Commence l’intro
d’Odyssey : « Walking upside down in the sky... » On comprend
aussitôt que le visuel sera le point fort de ce concert. Pour le
spectateur l’effet est saisissant. Jean-Michel fait face à la caméra
stéréoscopique qui le filme en direct. Son image est projetée
en 3D sur les 5 écrans. Que le spectateur soit devant ou tout au
fond de la salle, Jean-Michel lui apparaît aussi vrai que nature
et littéralement sous son nez. L’image est nette, en couleur et
absolument pas déformée !
Aucun effet informatique n’apparaît pour l’instant, mais la prouesse
technologique est déjà là. Devant la caméra,
Jean-Michel joue avec son micro qui pour l’occasion a été
rallongé d’une longue tige. Il le dirige et le pointe devant les
deux yeux de la caméra donnant l’impression au spectateur de l’avoir
à portée de main. Certains en ont même eu un mouvement
de recul. Un peu plus tard, durant le morceau Révolutions, c’est
Emilie Jarre, la fille de son père, qui viendra nous interpréter
une danse « à l’orientale » créant un effet similaire
par une gestuelle de mains et bras tendus en direction de la caméra.
Tout au long du concert, des images de synthèse de type JArKaos
rejoindront les prises de vue sur scène. On retrouve des images
connues, celles du Champs de Mars ou de l’émission sur M6 du mois
de mai. Elles sont reprises en thème en fonction des morceaux et
se mèlent à de nouvelles images très intéressantes.
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Et
puis il y a les nouvelles animations projetées, elles, en 3 dimensions.
Il ne s’agit pas de synthèse d’image traditionnelle maladroitement
rajoutée aux effets de JArKaos mais bel et bien de nouveaux effets
sur les images qui s’ajoutent à ceux que nous connaissions déjà.
On y voit des figures géométriques, des boules, des cercles
qui dansent au rythme de la musique. Mais l’effet le plus spectaculaire
reste sans doute celui du tunnel qui défile à un rythme effréné
sous les yeux du spectateur qui se sent comme aspiré dans une course
sans fin ! Les mauvaises langues critiqueront l’aspect répétitif
du visuel et regretteront le manque de diversité de ces effets.
Cela ne devrait plus se produire à l’avenir puisque Jean-Michel
souhaite peaufiner ces projections en créant de véritables
scénarios qui s’appuieront sur une palette d’effets qui d’ici là
aura eu le temps de s’enrichir. Du point de vue musical, ce concert était
un savant mélange de remixes techno et de morceaux « habituels
», histoire de satisfaire tout le monde. On retrouve en effet une
sélection de titres d’Odyssey through O2, déjà joués
lors de la Nuit Electronique, mais aussi d’anciens morceaux tels que Souvenir
de Chine, Chronologie 6 ou encore l’exceptionnel Equinoxe 4.
Loin de s’affronter, les morceaux désormais qualifiés
de « traditionnels » ne cohabitent pas trop mal avec les créations
récentes et l’alchimie produit son effet. Le fait de placer sur
le même plan ces deux catégories permet aux fans de vérifier
que les vrais morceaux de Jarre ont toujours quelque chose en plus qui
fait une sacréedifférence. Ceci étant, les remixes
choisis sont intéressants et se prêtent à merveille
à l’expression vidéo. Chacun pouvait donc y trouver son compte.
Côté musiciens, on a retrouvé la même formation
qu’au Champs de Mars : Cliff Hewitt et Paul Kodish, les deux batteurs d’Apollo
440, Christopher Pappendieck à la basse depuis l’Oxygène
Tour et Claude Monnet aux platines. Parmi les moments clés du spectacle,
on retiendra d’abord l’ouverture : après s’être amusé
avec son micro, Jarre a joué du Theremin sur l’un des remix d’Oxygène
10 de Loop Guru. Un résultat musical on ne peut plus psychédélique
pour faire apparaître les premières images... Ensuite, pour
Chronologie 6, il a ressorti l’accordéon. Paris Underground a été
joué sans le vocoder tandis que des très belles images de
gargouilles se déformaient sur les écrans. Equinoxe 4 fut
bien sûr un moment d’exception et Oxygène 2 s’est vu illustré
par un travail de morphing très amusant sur le visage d’une sorte
d’alien. Oxygène 12 a sans grande surprise été illustré
par le film en noir et blanc auquel nous avons eu droit depuis l’Oxygène
Tour. Pour finir, Jarre a dédié Oxygène 13 à
Steve Jobs, le PDG d’Apple, présent ce soir-là.
Pour ce rendez-vous hors du commun, nous aurions pu nous attendre à
une simple démonstration mais au lieu de cela nous avons eu droit
à un véritable concert d’1 h 30 environ et de bonne qualité.
Le côté expérimental de l’événement a
inévitablement mis en relief quelques lacunes. La qualité
du son dans le grand hall métallique n’était pas des meilleures
et aux dires de certains, ce concert manquait d’âme. Mais la prouesse
technique a bien eu lieu : les images étaient parfaites, plus qu’impressionantes.
Le spectateur en a eu plein les yeux et a forcément eu le sentiment
d’avoir vécu un moment unique.
Jean Michel Jarre nous a montré qu’il savait toujours nous surprendre
et repousser les limites de la technologie au service du spectacle. Si
ce concert marque une étape certaine dans sa carrière en
ce qui concerne l’animation visuelle, il reste maintenant à voir
ce qu’il fera à l’avenir du procédé qu’il a inauguré.
Nul doute que les possibilités de création multimédia
s’en trouvent décuplées. Malgré les contraintes imposées,
ce spectacle était sûrement une première mais probablement
pas une dernière.
Nathalie Huebner et Frédéric Esnault
(Extrait d'Oxygene nr 4, Avril 1999)
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