« L ‘effet Jarre » s’exprime en millions. : Millions d’albums vendus dans le monde (près de trente). Millions de spectateurs à tous ses concerts, celui de la place de la Concorde en passant par celui de Pékin, de Shanghai et de Houston. Pour trouver la recette de ce créateur, il faut chercher dans les arcanes du futur où il puise généralement son inspiration. C’est à l’occasion du voyage du pape à Lyon, le 5 octobre dernier, qu’il a donné un de ses concerts cosmlques entre la basilique de Fourvière et la cathédrale Saint-Jean. Après la bénédiction du Saint-Père, la «grandmesse Jarre » a fait communier, dans une liturgie magnétique, les 400.000 personnes présentes. Une nuit magique.
Patrick SABATIER – Qui a eu l’idée de ce concert à Lyon ?
Jean-Michel JARRE – Après Houston, je voulais faire un concert à Lyon qui est ma ville natale. J’aime le côté secret florentin de cette cité, son architecture où se chevauchent, se confrontent des tas d’époques, des tas de styles. Le maire a répondu à mon désir en me proposant de faire un concert pour la venue du pape.
Etait-ce le même concert qu’à Houston où vous aviezété invité par Ies Américains pour le vingt-cinq annivesaire de la N.A.S.A. ?
Pas du tout. Malgré les lasers, la pyrotechnie, les projecteurs, etc., c’était très différent. Musicalement déjà, ça n’était pas que de I’électronique. II y avait cent quarante choeurs sur la scène, des musiciens de I’orchestre de I’Opéra de Lyon. Tout cela mé1angé à des ordinateurs et à des instruments du XIIIè siecle. En fait, c’était un assemblage de dlfférentes traditions musicales. Et puis, sur le plan visuel, nous avions fait une succession de tableaux qui tournaient autour de deux thèmes : les droits de I’homme et la communication, le tout sous forme de diapositives géantes projetées sur la façade des immeubles. La communication est un thème cher au pape, qu’on dit plus médiatique que tous les autres avant lui. En fait, sa force est simplement d’avoir compris qu’il fallait utiliser les moyens de son époque pour être entendu.
Avez-vous rencontré le pape et êtes-vous croyant ?
Je I’ai rencontré la veille du spectacle. II m’a dit qu’il était très heureux de cette initiative, que pour lui il y avait une grande complicité entre la musique et la religion. II parait même qu’il a plusieurs de mes disques. Si je suis croyant ? Je suis d’une famille catholique mais je ne pratique pas. Disons que je crois en un absolu. Je crois en tout cas, fermement qu’on va vers une époque où le sacré, la spiritualité vont reprendre leur place. « Le XXIè siècle sera sacré, ou ne sera pas», disait Malraux. II avait raison.
Avec tout ce qui vous est arrivé de bon, que ce soit professionnellement ou dans la vie privée vous ne pensez pas que vous êtes un élu du ciel ?
Bien sûr, je suis ne sous une bonne étoile, mais rien ne m’a été donné gratuitement. Je suis le fils de Maurice Jarre (le célèbre créateur de musiques de films). Mais il n’a été pour rien, ni dans mon éducation ni dans ma réussite. II nous a laissés, ma mère et moi, quand j’étais petit, je ne I’ai revu que beaucoup plus tard. On ne parle que de mes succès, et jamais des cinq ou six disques que j’ai faits p et qui ont été des échecs. Ouant aux concerts que j’ai donnés, ils ont été le résultat d’un travail de longue haleine, un travail acharné fait de nuits sans sommeil et de tracasseries incessantes. Pour Lyon, je n’ai pas dormi pendant un mois.
Quand vous vous regardez dans une gIace, vous dites-vous : «. C’est moi le grand Jean-MicheI Jarre. I’artiste planétaire ?
(Rires) Je n’ai jamais eu la grosse tête. Ouand on a un peu d’humour cela devient impossible. Moi, j’ai assez de recul par et rapport à ce qui m’arrive pour rester moi-même. Et puis je sais par experience que la vente de disques, même énorme, n’est pu pas un critère de qualité. Ce qui ne veut pas dire non plus que ce qui se vend est forcément mauvais.
Vous qui avez tout eu à trente ans : I’argent, la gloire, le bonheur, après quoi courez-vous encore aujourd’hui ?
D’abord j’ai la sensation de n’avoir pas fait grand-chose. Chaque fois, dans ce que j’ai fait, le résultat m’a donné I’envie d’aller encore plus loin, de faire encore mieux. Alors, bien sûr, j’ai eu un écho favorable dans le public. Mais ça n’a été qu’un encouragement, pas une sanction définitive. J’aime le risque et je ne suis pas prêt d’arrêter d’en prendre. Au contraire, j’ai décidé d’inclure à ma musique tout ce qui m’entoure, de mélanger par exemple un instrument japonais à des guitares rock et à des cors anglais. On vit une époque patchwork où le vieux et le neuf, le passé, le présent, le futur sont confrontés journellement. Tous les artistes sont des pilleurs, des éponges. On prend ce qui nous entoure pour créer, puis on est pillé à notre tour.
Aujourd’hui, si on vous demandait de choisir entre votre vie privée et votre vie professionnelle, que choisiriez-vous ?
Je choisirais ma vie privée sans hésitation. Encore que ma vie professionnelle dépende tellement de me vie privée, affective, que le choix est fort difficile, voire impossible. Chez moi tout est lié. C’est dans ma vie privée, émotionnelle, que s’élaborent mes chansons, mes concerts. La relation entre Charlotte Rampling et moi réside dans I’intérêt qu’on porte à nos occupations respectives. Je ne crois pas qu’on puisse faire un couple en ne partageant qu’une toute petite partie de sa vie avec I’autre. Or le travail c’est la moitié, souvent, de votre existence.
Alors pourquoi ne travaillez-vous pas ensemble ?
Non, on partage tout, mais on ne mélange rien, je vais rarement sur les plateaux quand elle tourne, elle ne vient pas en studio quand je réalise. Partager ne veut pas dire perdre son autonomie.
Vos proiets ?
Je vais monter le film qu’on a fait à Lyon pendant le concert et qui sera diffusé sur TF1 au mois de décembre. Fin novembre j’ai un bouquin qui sort sur tous les concerts que j’ai faits et puis je veux dormir, dormir, dormir et récupérer un peu.
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