Avec ses deux titres « Oxygène » et « Equinoxe », le voilà, à 29 ans, aussi célèbre que son père, compositeur de la musique du film « Le Docteur Jivago ». Il vient de lancer une cassette vidéo réalisée à partir du concert électronique qu’il avait donné place de la Concorde le 14 juillet 1979.
par François Jouffa
Il s’appelle Jean Michel Jarre A 29 ans, II est plus célèbre que son père Maurice, compositeur de la musique du docleur Jivago. Ses deux 33 tours – Oxygène et Equinoxe se sont vendus dans le monde à 14 millions d’exemplaires. Une belle fortune en droits d’auteur. C’est aussi un mari comblé. Sa femme, c’est tout slmplement Charlotte Rampling, l’héroïne du Taxi mauve. Mais il en faut encore plus à ce jeune homme au visage romantique, qui n’est pas du genre à se contenter de bravos et autres congratulations dans les dîners en ville. Lui, ce qu’il aime, c’est travailler en tête à tête avec des manettes. Des boutons Des voyants sonores et lumineux. Toute une machinerie electronique qu’il manipule avec l’excitation d’ un môme de cinq ans découvrant son premier train électrique.
Ca commence comme une belle histoire. Modestement bien sûr mais le destin est déjà tracé en pontillés. Dans sa salle de bain, Jean-Michel pense, enregistre et compose des musiques expérimentales aux frontières de la science-ficlion. Pourquoi la salle de bains ? Comme chacun sait, c’est là qu’on se réfugie quand l’appartement est trop petit.
Aujourd’hui, I’entreprise a pris de l’envergure. Le matériel s’est perfectionné. Mais Jean-Michel en bon artisan consciencieux continue de bricoler fils et lampes avec la même passion. teintée d’entêtement.
Il travaille avec quarante synthétiseurs
Sa maison, une bâtisse Empire, meublée en 1930, n’a rien d’un laboratoire. Et le chercheur n’est fou ni fauché.
Dehors, on baigne en plein tableau de Renoir ou de Manet. Ce n’est pas pour rien que les maîtres de I’impressionnisme ont autrefois planté ici leur chevalet. Dans le jardin qui domine les berges de la.Seine, Charlotte, sa femme, en combinaison rose de pompiste passe les planles vertes en revue. 4000 m2, ça demande de l’attention. Même si un paysagiste a ausculté le jardin et donné des conseils d’entretien. Et à queiques mètres de là, David, 3 ans, lui, fait de la balançoire.
Nous vivons une époque formidable, nous explique Jarre. Le public ne se rend pas encore compte pie combien l’électronique va ouleverser sa vie quotidienne dans les cinq prochaines années. » Jarre aime expliquer, vulgariser son enthousiasme reste celui d’un adolescent fasciné par le monde de demain. Nous sommes ici au domaine des synthétiseurs et des computers. L’usine à sons la plus équipée des temps modernes. Autour d’une console de mixage sont installés rien moins que quarante synthétiseurs, quatre magnétos dont un de vingt quatre pistes. Un vrai tableau de bord. On se demande où I’apprenti-sorcier a trouvé le mode d’emploi pour maîtriser tous ces boutons. Mon grand-père était centralien et jouait du hautbois. Ce qui ne I’empêchait pas d’inventer un moulin à café en bricolant un moteur de scooter et un carter d’aspirateur . Un lourd héritage de bricoleur. Et Jean-Michel Jarre présente sa dernière création une cassette vidéo. Tirée au départ à 40000 exemplaires, elle sera dès la semaine prochaine en vente pour 200 F dans les magaslns de disques, les boutiques de matériel de cinéma et même d’électroménager – La vidéo fait maintenant partie de notre vie, dit Jean-Michel Jarre. Et le parc de magnétoscopes est déjà impressionnant. Mais, en dehors des copies de films de fiction réalisés pour le cinéma, on n’a rien à glisser dans les appareils je suis un pionnier. Parce que Ia vidéo m’intéresse en tant qu’Art, mais aussi en tant que produit commercial comme moyen de communication moderne. A la naissance des premiers microsillons, on s’était empressé d’annoncer la mort du livre et de Gutenberg. Et aujourd’hui, on peut imaginer que ces images sonores vont révolutionner le marché. Acheterons-nous encore des disques ? Bien sûr, mais la vidéo musicale va très vite devenir une mode. Et même un nouveau besoin.
Il voudrait faire un son et lumière dans la Cité interdite
Cette cassette, disponible dans tous les procédés (Pal européen, Secam français ou NTC américain, de format VHS ou Betamax), dure 32 minutes Il l’a réalisée Iui même. A partir des matériaux filmés et enregistrés lors de son gigantesque concert, total, visuel et sonore qui attira un million de personnes à la Concorde, au 14 julllet de I’année dernière. Pour visionner, en avant première, cette chose. qui n’est ni un disque, ni un film, Jarre m’emmène dans sa chambre à coucher. On y accède en toute simplicite par un ascenseur rétro et c’est là, dans un décor tout en bleu et gris, au milieu d’une collection de robots, que trône I’important matériel vidéo. L’électronique est envahissante chez les Jarre. Mais I’ancien élève du Conservatoire puis du Service de la recherche de l’ORTF, lui qui a inventé une nouvelle forme de composition musicale électronique, est tout à coup désarmé impossible de mettre I’engin en route. La science fiction est en débâcle. Trahis par les robots, nous abandonnons Iâchement et nous nous réfugions au salon, où Charlotte nous sert des jus de fruits exotiques. Là, sous un poste à galène trop vétuste pour a voir même connu les programmes de Radio-Cité, il allume une chalne hi-fi pour me faire écouter un concert de musique chinoise qu’il a enregistré lui-même sur place – Les Chinois s’intéressent à ce que je fais, dit-il. Après la Révolution culturelle, qui ne leur a laissé que deux pianos pour tout le pays, les Chinois se découvrent des appetits. Mes disques Ies branchent, particulierement. Mes sonorités planantes sont assez proches de leur conception musicale. Ils ont passé plusieurs fois mes disques à la radio, et comme ils étaient fascinés par mon matériel, je leur en ai offert une partie, apres leur avoir montré comment on pouvait en sortir le bruit de la mer et celui du vent. En fait, Jean Michel Jarre rêve de faire vibrer la Cité interdite où le Temple du Ciel où I’empereur venait méditer. Illuminer sonoriser ces décors presque mythiques ça serait un extraordinaire événement. Mais, une fois de plus, la chaîne hi-fi ne répond pas. Et Jean Michel, celul dont on dit qu’il joue du synthétiseur comme Paganinl du violon, jette des regards en SOS à sa femme Charlotte qui elle vient de terminer le tournage du dernier film de Woody Allen ne va pas se laisser désarmer pour si peu. Elle propose une solution du studio de Boulogne-Billancourt, stationne un car ultra-perfectionné de vidéo TéléFrance en activité
- En ce moment Jean Michel a besoin de moi. J’attends la fin de I’enregistrement de son troisième album et de la cassette puis je reprends le chemin des studios. Nous avons un planning nous travaillons à tour de rôle, pour mieux profiter I’un de I’autre et surtout de nos enfants. 1980 c’est I’année de Jean-Michel. Et j’en profite pour m’initier à la photographie. Et c’est le petit David qui ouvre les grilles de Ia propriété et les referme au moyen d ‘une commande à distance ça au moins, ça marche. Une fois dans le car, qui a coûté un milliard de centimes, Jarre ne peut s’empêcher de se remettre à faire joujou en improvisant des enchaînements de jets de couleurs el de formes abstraites en délire qui apparaissent sur une quinzaine d’écrans de dlfférentes tailles. J’ai 64 possibilités d’enchaînement différents dans cette régie de trucage vidéo, précise le compositeur réalisateur bricoleur en jubilant. Enfin, il enclenche la cassette tant attendue. Des effets visuels se superposent, synchronisés avec la musique bien connue de Jarre. Le concert de la Concorde a été recomposé, et la Seine l’Obélisque et la Chambre des députés flottent dans une mosaïque de couleurs. Les piétons des Champs-Elysées jouent les figurants dans la grande fresque vidéo. Le monde prend sa propre démesure. Lignes en perspectives et instruments de musique électronique apparaissent en cascade. Même le feu d’artifice final a été trafiqué décomposé en puzzle magique, il éclate à plein écran ça fuse, ça explose sur fond de musique cosmique. Toutes ces formes rythmées, ces croix, ces rectangles et losanges qui, par ordinateur, réagissent aux vibrations des aigus, des graves et du tempo sont, au début des années 80, ce que les trouvailles techniques de Jean-Christophe Averty étaient à la télévision à la fin des années 50. En quelques mois de recherche Jean-Michel Jarre a fait avancer la conception du show.
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