Ce ne fut pas une nuit de Chine très caline, et pas encore une nuit d’amour. Mais certainement une nuit d’eveil de millions de Crunois ~ la ique synthetique. Une nuit de révolution cuturelle ! 1980 : sur le bureau de Tien Tsao-ping, les dossiers venus d’Occident s’accumulent. Rolling Stones, Pink Floyd, Elton John… Tous barrés rageusement au crayon rouge d’un mot honni en Chine: décadence ! 1 981 : sur la scène de l’immense « stade des ouvriers de Pékin, devant trente mi1le Chinois hypnotisés, voici Jean-MicheJ Jarre, ses trente-ans, son smoking blanc, son apparei1lage électronique, ses lasers, son extraordinaire spectacle son et lumière modèle 1981, sa fabuleuse « musique du village planétaire » .
Trente-cinq amplis, trente synthétiseurs, cent haut-parleurs, quinze tonnes de matériel, une machinerie fantastique commandée par Jarre , depuis un tableau de bord digne d’un navire spatial, et tout de même aussi quelques musiciens pour nourrir de rythmes «psychédéeliques » cette «nuit électronique » retransmlse en direct sur toutes !es TV et radios du céleste Empire. Dans le stade, I’immense foule chinoise où dominent le kaki et les tenues de travail grises et bleues, est Iittéralement émerveillée, fascinée, tétanisée par Ies Iangues d’électricité vertes ou rouges que crachent les lasers. Ces inventeurs miIlénaires du feu d’artifice sont saisis par cette féerie lumineuse- et sonore venue de France. Pour I’alimenter, les pékinois se sont privés de courant pendant deux Jours ! Ils ont payé leur place de I a 3 F (les sa]aires mensuels, en Chine, équivalent en moyenne à 180 F). Toutes catégories sociales confondues, Ies ouvriers des usines de Pékin, les employés des ministères, les soldats, garçons et filles de I’armée nationale populaire, tournent la tête en tous sens, pris de vertige par le son « quadriphonique » diffusé des quatre coins de I’immense stade. Ce soir, pour cette masse de spectateurs, pour ces millions d’hommes, I’oreille coIlée à leur transistor au fond des campagnes, ce diable de Français devient le « chamane », le «sorcier » qui les fait sortir d’eux-mêmes. Dans la tribune officieIle, entouré d’eminentes personnalités, le Thibétain Panchen Lan Erdeni, vice-président de l’ Assemblee nationale populaire, frère spirituel du Dalaï Lama, incarcéré sous Mao Tse-toung a été choisi par Tien Tsao-ping pour le représenter à cette grande première, Pour qui connait les Chinois, cette presence lamaïque ne peut être due au hasard. Les dirigeants de Pékin connaissent parfaitement I’histoire ésotérique de la musique. lIs savent que ceIle-ci est, pour la formatIon des caractères une force plus puissante que les croyances les slogans, les philosophies politico-sociames. L’histoire leur a appris que toute innovation dans un style musical est inévitablement suivie d’évolution en morale et en politique. lIs trouvent dans I’oeuvre de Jarre une harmonie quasi parfaite entre la technologie d’avant-garde et les archétypes musicaux fondamentaux, harmonie qui les intéresse tout particulièrement, eux qui cherchent à créer un équilibre entre ces deux nécessités politiques : la maîtrise des masses et la satisfaction de leur besoin d’ouverture et de rencontres. Que de chemin parcouru depuis la terreur éxercée par la « bande des quatre » ! II y a seulement cinq ans, Tchaïkovski ou Ravel étaient des musiciens décadents, on cassait les doigts des pianistes classiques taxés de « déviationnisme » et I’on brisait leurs pianos ! Enfin, Tien Tsao-Ping vint, et avec lui un souffle de libéralisme, dont a bénéficié le fils de Maurice Jarre (I’auteur de la musique de Lawrence d’Arabie et du Docteur Jivago) qui fut I’un des premiers à travailler sur synthétiseur, tout en écrivant des chansons pour Françoise Hardy, Christophe ou Gérard Lenorman.
Sa musique intéressa les Chinois qui, passionnés de technologie moderne, ont diffusé plusieurs fois ses dlsques – Oxygène, Equinoxe… à la radio de Pékin, et même sur les places de villages ou dans les rizières. Deux voyages de Jean-Michel Jarre en Chine, quelques mini-concerts aux conservatoires de Pékin et de Shanghai emporterent I’adhésion des autorités, en même temps que celle des jeunes Chinois, et voilà comment a été rendu possible le surprenant concert, la plus importante manifestation culturelle venue d’Occident depuis le passage du cirque de Moscou en 1950, dit-on. Jean-Michel Jarre m’a confié : « Ma musique correspond à une demande profonde de I’inconscient collectif (…). Ici, en Chine, tout n’est pas rose. Mais je n’aurais jamais joué en Union soviétique, par exemple, où système est réellement totalitaire. Regardez cette foule, pauvre, confrontée à d’immenses problèmes : elle reste vivante, malgré tout. Ce sont des individus qui se veulent vainqueurs de leul futur. En Union soviétique, les foules sont grisâtres, anonymes, abruties ! Et d’avouer : « J’espérais beaucoup, sur le plan culturel, de l’arrivée de la gauche au pouvoir. Mais le ministère de la Culture ne m’ a jamais aidé en rien, pour la réalisation de ce voyage en Chine. Jean-Michel Jarre a montré qu’on peut faire sans…
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