L’hélicoptère fait du sur-place au dessus de Sam Houston Park. Le bruit de ses rotors est très largement couvert par la puissance des accords synthétiques de Jean-Michel Jarre. A l’intérieur de l’appareil, le capitaine de police W.H. Gaines, de la section des opérations spéciles à Houston n’en croit pas ses yeux : l’Inter State Freeway, l’autoroute inter-Etats qui traverse le Texas et Houston à deux kilomètres du centre ville, est totalement obstruée. Sur des kilomètres, les automobilistes ont stoppé leurs véhicules. Grimpés sur le toit des voitures, ils semblent fascinés par le spectacle féérique qui transforme la muraille de gratte-ciel du centre de Houston en un décor ahurissant de couleurs, de lumières et de feux d’artifice. Portée par des enceintes de cent cinquante kilowatts et relayée par quatre tours réparties dans le parc dégageant vingt-cinq kilowatts chacune, la musique de Jean-Michel Jarre couvre le centre de la ville et la campagne envoronnante sur plus de cinq kilomètres à la ronde. Du haut du ciel, le capitaine Gaines tente de dénombrer la foule immobile est attentive. « Un peu plus d’un million de personnes », pense-t-il en constatant que la marée humaine s’étend plus loin que les yeux ne peuvent voir. « C’est la chose la plus incroyable que j’aie jamais vue », dira-t-il plus tard. « Pendant deux heures, nous avons installé une pagaille à la française en plein Texas », dit Jean-Michel Jarre en riant. Dans tout le parc de Sam Houston, sur les bretelles d’autoroute et dans la plaine de Buffalo Bayou, la foule s’installe depuis le milieu de l’après-midi. Les plus fanas ont fait la queue la veille, trois heures d’affilée, dans Folley’s, le grand magasin de la ville, pour faire dédicacer par Jean-Michel Jarre son dernier album « Rendez-Vous ». « Le gag le plus drôle, raconte Jean-Michel, qui a installé la scène, ses quarante-cinq claviers de synthétiseur, ses sept musiciens et ses choeurs au pied de l’hôtel Meridien on le doit à un flic américain, magnifique , dans son uniforme bleu marine, colts sur les hanches et étoile d’ argent sur la poitrine qui est venu nous réclamer cent dollars d’amende à payer cash pour tapage nocturne
On a tous fouillé nos poches pour réunir la somme exigée, ensuite, on a pu continuer » Rigueur américaine contre système D à la française. Jean-Michel Jarre et Francis Dreyfus, son producteur, ont arbitré pendant neuf mois cette partie de ping-pong peu banale menée sur tous les fronts à la fois technique, artistique, politique, administratif et même psychologique, jusqu’ à cette soirée de féerie où, sur les toits des buildings, les équipes de la pyrotechnie s’activent sous les yeux affolés des » fire-marshall » (chez,des pomplers) » Ces vingt Français, maitres pour un soir de l’ enchantement texan. n’avaient jamais encore mis les pieds aux Etats-Unis, dit Jean-Michel Jarre Pour répondre aux inquiétudes des pompiers de la ville, lis n’ avaient appris que deux mots d’anglais » No problem » Au poste de commandement des lumières, Jacques Rouveyrollis s’active Pour la première fois de sa vie, le chef éclairagiste le plus génial de France a entre les mains une somme de matériel jamais réunie jusque-là trente-deux faisceaux lasers répartis sur les toits des immeubles, huit projecteurs de DCA qui colorent les façades et quarante projecteurs de scène qui obéissent tous à une rigoureuse chorégraphie dictée par ordinateur. Même de mémoire de Nasa, on n’ avait encore jamals vu ça. Et puis, iI y aussi les rayons lasers qui tracent sur les murs des dessins animés et la projection la plus grande jamais réalisée, sur un écran de cent cinquante mètres de haut et quatre-vingts de large. » Pour une dizaine de PME françaises, c’était le challenge de leur vie » , explique Francis Dreyfus. Le grand moment d’ émotion de la soirée est né du son pointu dun saxophone, pendant que sur I’écran se dessinait l’image de Ron Mac Nair, le cosmonaute noir disparu avec son saxo dans le nuage sinistre de Challenger en janvier dernier. » Nous devions faire un duo en direct de I’espace, Ron s’entrainait comme un fou malgré sa préparation à la Nasa, le soir au fond de son garage pour ne pas réveiller ses enfants « . Ce soir, I’ombre repliée d’un musicien solitaire se détache en fond de lumière sur la façade du Meridien et le sax orphelin pleure sous le ciel texan. Mais c’est dans le délire le plus total que s’ achève le spectacle. La marée humaine reflue alors vers la scène comme attirée par le magicien en blanc qui commande aux synthés et aux lasers cette symphonie spatiale. Dans le mouvement de la vague, Mme le malre de Houston, Kathy Whitmire se retrouve propulsée aux bords des barrières, tailleur B C B G en bataille, mis en plis hollywoodienne à la dérive, battant des mains comme une groupie, portée en meme temps que sa ville par une passion frenchie jamais encore connue au Texas la « Jarremanie » aiguë.
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