18/06/2013

Exception culturelle : Aurélie Filippetti dénonce les propos “consternants” de José Manuel Barroso

17/06/2013

 La France a finalement réussi à faire admettre sa position sur l'exception culturelle. Au vu des propos des propos du président de la Commission européenne José Manuel Barroso, qui trouve cette position “réactionnaire”, le combat n'est pas terminé.


« Les discussions ont été âpres, acharnées. La pression, forte. Mais Nicole Bricq n'a pas flanché. » C'est en ces termes, lors d'une conférence de presse ce lundi 17 juin que la ministre de la Culture, Aurélie Filipetti, a salué la « bataille décisive » remportée, vendredi 14 juin, par la ministre du commerce. Au grand soulagement d'un monde de la culture en ébullition, les services audiovisuels et le cinéma ont été exclus du périmètre des négociations qui s'ouvriront cet été entre la Commission européenne et les Etats-Unis. L'accord de libre-échange commercial entre les deux continents ne devrait donc pas concerner les industries créatives. A moins que...

Entre la France, soutenue par une quinzaine de ministres de la Culture européens (parfois contre l'avis de leur propre gouvernement) et la Commission européenne, le bras de fer n'est pas encore terminé. A terme, certains comptent bien faire revenir l'exception culturelle à la table des pourparlers. Ainsi, tandis que José Manuel Barroso, le président de la Commision, qualifiait la position de la France de « réactionnaire » (« Cela fait partie de ce programme anti-mondialisation que je considère comme totalement réactionnaire », a-t-il déclaré dans un entretien au International Herald Tribune), le commissaire européen Karel De Gucht, en charge des négociations avec Washington, précisait le caractère « provisoire » de l'exclusion de l'audiovisuel du mandat de négociations... Rue de Valois, pendant ce temps-là, la ministre de la Culture dénonçait les propos « consternants et inacceptables » de Barroso, et rappelait que « pour revenir sur l'exception culturelle, il faudra d'abord obtenir l'accord unanime des Etats membres. »

Devant un parterre d'artistes, de professionnels ou de politiques récemment montés au créneau de la défense de l'exception culturelle – Pascal Rogard, président de la SACD, les cinéastes Lucas Belvaux et Radu Mihaileanu, Thierry Frémaux, le délégué général du festival de Cannes, Jacques Toubon, ancien ministre de la Culture, le musicien Jean-Michel Jarre, le chanteur Alain Chamfort, etc. –
Aurélie Filipetti a salué leur mobilisation pour « un combat de fond », « une mission traditionnelle qui, tout en nous inscrivant dans les pas de nos prédécesseurs, nous permet aussi de construire l'avenir. »

La culture en Europe, c'est 3,3 % du PIB 

Après avoir rappelé que l'exception culturelle française est un acquis remontant aux négociations du GATT, en 1993, la ministre a expliqué que « la position de la France n'a pourtant rien de défensif ni de réactionnaire. C'est une position résolumment moderne, car sans exception culturelle, nous ne pourrons pas relever le défi de la transition de la régulation du secteur économique de la culture à l'ère du numérique. L'enjeu c'est bien cela. Pour pouvoir adapter nos outils de régulation, (…) nous avons besoin de l'exception culturelle ». Pour exiger des grandes plateformes numériques, agrégateurs de contenus type Netflix ou Google, de participer au financement des oeuvres qu'ils diffusent, le cadre législatif de l'exception culturelle est en effet un gage de légitimité. « Il faut faire évoluer les exceptions aux règles du marché, sinon nous serons accusés d'entrave à la libre-concurrence. » Aurélie Filipetti a également rappelé que la position française rimait aussi avec défense de la croissance et « d'une Europe dynamique, qui avance et se bat pour ses industries créatives. » Et de citer quelques chiffres édifiants, démontrant la richesse en emplois et la vitalité exportatrice du secteur culturel en Europe, qui représente 3,3% du PIB européen et 6,7 millions de travailleurs. « En détruisant l'exception culturelle, le risque est d'agraver encore la crise économique. »Enfin, la ministre a évoqué l'importance de « la souveraineté culturelle » des Etats. « Pour un continent en devenir comme l'Europe (…), il est indispensable de pouvoir défendre des créateurs qui portent une vision du monde. Sans cette capacité à représenter le monde, il n'y a pas d'union politique possible. Or, nous nous battons aussi pour une Europe qui a du sens, une Europe de la culture, des créateurs et au service de ses peuples. C'est cela que la France continuera à défendre avec constance. »Après avoir appelé à continuer la lutte contre « l'offensive unilatérale et ultralibérale de la Commission européenne » et célébré « notre vision universaliste de la culture », elle a ensuite invité un certain nombre de personnalités à prendre la parole. Voici un petit florilège des propos entendus rue de Valois :

Henri Weber, député européen

« La volonté de la Commission de revenir par la fenêtre est manifeste. Les géants des plateformes numériques veulent une dérégulation, une libéralisation mais les parlementaires ne se laisseront pas rouler dans la farine. »

Pascal Rogard, président de la SACD

« Je suis très choqué par les déclarations de Barroso. C'est une honte ! C'est Barroso contre la démocratie. J'espère d'ailleurs que le Parlement européen réagira à ces propos. Plutôt que d'aider les créateurs, la Commission épaule les banquiers. C'est très grave. »

Jacques Toubon, ancien Ministre de la Culture sous Jacques Chirac

« Il s'agit aujourd'hui d'étendre l'exception culturelle acquise il y a vingt ans, lors des accords du GATT, à l'ensemble des plateformes et des réseaux numériques de demain. Et il faut veiller à ce que l'ensemble des secteurs distribués par ces services en ligne soient couverts. Car la bataille porte sur la diffusion. (…) Le diable est dans les détails, et encore plus dans les accords de libre-échange. Le combat doit continuer ! »

Jean-Michel Jarre, musicien

« Nous devons construire une économie durable dans tous les secteurs de la culture. Et apporter une réponse globale à un problème global. (…) Barroso confond globalisation et universalité. La globalisation, c'est McDo, vite mâché, vite digéré ; l'universalité, c'est quand chaque créateur creuse son jardin pour cultiver quelque chose qui sera entendu et compris aussi bien par un petit Brésilien que par un petit Esquimau. »

Jack Ralite, homme politique

« On a eu chaud ! Il faut d'abord remercier les gens du cinéma. C'est quand les artistes se mettent en route qu'on gagne ! Souvenez-vous les immenses assemblées d'artistes au moment du GATT... (…) Il faut maintenant penser à des Assises internationales que l'on pourrait organiser en France, avec une forte présence artistique. C'est autour de la création que nous devons tous nous regrouper. Pour contrer les menaces issues de la Commission européenne, et valoriser le dévoilement contre le dévoiement, nous devrions aussi songer à mettre sur pied un Comité de vigilance. Et pourquoi pas des Etats généraux sur le thème du CRI : Création-Recherche-Innovation ? Souvenez-vous : quand on est contre les arts, on est contre le peuple ! »

Radu Mihaileanu, cinéaste

« Soit Barroso est aveugle, soit il est sourd, soit il est de mauvaise foi. Je penche pour la troisième option. Comment ne pas voir que la défense de l'exception culturelle est un combat européen, et même mondial ? Il suffit pour cela de songer aux noms de ceux qui s'y sont engagés : Ken Loach, Wim Wenders, Lucas Belvaux, Cristian Mungiu, Steven Spielberg... Cette bataille a permis d'exhumer quelques questions salutaires, au premier rang desquelles : qu'est-ce que l'exception et la diversité culturelles ? A mille lieux d'un principe corporatiste, il s'agit d'une notion profondément démocratique, un droit des peuples à exprimer et à diffuser leurs pensées. Là-dessus, il ne faut jamais baisser les bras. Comment faire pour que ce principe devienne effectivement un droit de l'Homme ? Autre idée, fondamentale, qui a surgi avec la défense de l'exception culturelle : l'esprit ne doit pas être soumis aux lois du marché, des lois supra-nationales qui se décident sans les élus du peuple. L'offensive de la Commission nous pose aujourd'hui cette question cruciale : la représentativité des citoyens est-elle entrée dans une ère où elle n'a plus importance ni valeur ? »

Source: telerama.fr

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