20/08/2014

De Pink Floyd à Vitalic, des concerts bien allumés

09/08/2014

Fini le chanteur éclairé seul dans son rond de lumière... Pink Floyd dans les années 1970, Jean-Michel Jarre dix ans plus tard inventent les shows dopés aux effets lumineux. Coup de projecteur sur une révolution qui a vu le spectacle voler la vedette aux artistes.

Dès les années 1970, les Pink Floyd s'enflamment pour les light shows. - © Andrew Whittuck 
« Si tu nous faisais un light show ?

— Un quoi ?

— Des projections lumineuses, des pulsations de couleurs qui vibrent au même rythme que la musique. J'ai vu faire ça en Angleterre, je peux t'expliquer en gros comment on procède. »

Nous sommes en 1970, et Bernard Szajner ne sait pas encore qu'il deviendra bientôt le créateur des lumières de Gong et Magma (groupes historiques du rock progressif), et l'inventeur de la harpe laser, l'instrument lumineux fétiche de Jean-Michel Jarre. Pour l'instant, il discute avec son ami Karel Beer (1), manager d'un groupe de rock, et bricole dans sa cuisine des perruques en fibre de verre qui n'intéressent que lui.

Le manager a raison : en Angleterre, les light shows ont la cote depuis que Pink Floyd a décidé d'inverser les codes du concert. Ce n'est plus le chanteur qui est la vedette, mais le spectacle. Au placard Mick Jagger et autres sex-symbols envahissants. Le rock a envie d'expérience, de sensations, d'en avoir plein la vue. A Londres, le 29 avril 1967, la crème du psychédélisme a célébré « Quatorze heures de rêve en Technicolor » pour soutenir une revue underground. Au centre du vénérable Alexandra Palace trônait une tour de lumière, et la foule a dansé toute la nuit devant des écrans géants. On y diffusait Flaming Creatures, un film expérimental de Jack Smith. La même année, au club UFO, à chaque concert du Floyd, l'architecte Mike Leonard teste ses lentilles kaléidoscopiques et Peter Wynne-Willson, ses lampes à huile. Au fond de la scène, des bulles de couleur éclatent en mille particules, les musiciens jouent avec leurs ombres portées. Le public, qui ne boude pas le LSD, ouvre les portes de la perception.
Le live VTLZR, de Vitalic. - © DR

« Soudain, l'ombre du musicien devenait gigantesque »


« Pendant des années, on avait séparé le son et la lumière, et voilà qu'ils se mariaient pour nous impressionner, pour créer l'illusion, s'enthousiasme Bernard Szajner, exactement comme les hommes des cavernes avec leurs torches ou les cérémonies de prêtres égyptiens. On le sait, la fusion des deux stimule la zone du plaisir dans le cerveau. » Alors qu'on redécouvre son travail lumineux et musical (2), quarante ans après ses débuts dans le light show, Szajner insiste pour rendre hommage aux pionniers du genre : « Sans le savoir, nous réinventions le travail d'Etienne-Gaspard Robertson, le créateur des fantasmagories sous la Révolution française, qui faisait surgir des fantômes avec de la fumée. Nous, nous mélangions des encres, de l'éther et de la glycérine sur des plaques de verre, jouions avec la persistance rétinienne, ajoutions des effets de rotation aux lanternes magiques. Soudain, l'ombre d'un musicien devenait gigantesque, effrayante. » En 1970, la technique lumineuse est presque aussi rudimentaire qu'au XVIIIe siècle, mais bientôt des moyens nouveaux décupleront ses possibilités.

« La vraie révolution du light show est arrivée avec les lampes “aircraft”, celles qui permettent aux avions d'atterrir. Elles sont petites mais ultrapuissantes », se souvient Jacques Rouveyrollis. Lui aussi maniait les ampoules vernies maison, lorsqu'il éclairait les Jelly Roll à Fréjus, en 1965. C'était avant que ­Michel Polnareff ne l'engage pour huit ans : « Il avait compris que les gens ne se contentaient plus d'un chanteur devant un ­rideau. » Le travail de Jacques Rouveyrollis, éclairagiste de Johnny, Barbara et tous les grands noms de la chanson française, accompagnera les progrès technologiques. Ils s'enchaînent à la vitesse de l'éclair.

     

C'est l'époque des mégashows planétaires et du Pink Floyd de The Wall. La grande ascension de Jean-Michel Jarre aussi, qui fait équipe avec Rouveyrollis et donne, le 14 juillet 1979, un concert gratuit place de la Concorde à Paris, devant un million de personnes. Le musicien français ne rechigne pas à se montrer, mais il doit faire face à un problème de taille : sa musique est instrumentale et son fatras de synthétiseurs n'est pas « sexy ». S'il ne peut pas bouger, la lumière le fera pour lui ! Jarre s'empare du laser et de la harpe inventée par Szajner, un grand triangle de métal où les cordes ont été remplacées par des rayons. Il en joue les mains gantées de métal. Rouveyrollis le suivra jusqu'à Houston, en 1986. « On passait à une autre échelle, l'éclairage d'une ville. C'est d'ailleurs peu après que les festivals de lumière sont apparus. Les Américains nous prenaient pour des fous. » Le light show passe à l'ère industrielle. Apogée de cette époque pharaonique, The Division Bell Tour des Pink Floyd, en 1994. La presse de l'époque s'extasie sur les milliers de kilowatts, les tonnes de matériel transporté et les lasers venus de la ­recherche nucléaire, à 120 000 dollars pièce. Démesuré ? Aux yeux de Jacques Rouveyrollis, le risque n'est pas dans la surenchère d'effets lumineux, mais dans l'absence de ­discours : « La finalité est toujours la même, “embarquer” les gens dans votre univers. L'important est de savoir pourquoi et pour qui on le fait. En 1984, j'ai mis quatre mille projecteurs sur la tête de Johnny. Pour Barbara, je n'avais qu'une poursuite. Si je n'ai pas de contenu, je ne peux pas faire le show. »

L'ennui pourtant gagne peu à peu l'univers du light show. A la fin des années 1990, le rock, lassé du show-business, revient à l'état brut avec le grunge. « Pour vivre heureux, vivons cachés », proclame la techno naissante, qui à l'époque tient à distance l'héritage de Jean-Michel Jarre. Mais l'euphorie des raves, du public star et de la grande communion n'a qu'un temps. Pour vivre de leur musique, les musiciens électroniques doivent exister sur scène, offrir un spectacle. Peu à peu, ils retournent donc vers la lumière.

Le Cube d'Etienne de Crecy. - © DR
Le XXIe siècle a commencé. L'ère du numérique, d'Internet, du collectif… et de la crise du disque. Retour au bricolage. Mais si les moyens fondent, les idées fusent. En Suisse, au début des années 2000, un microévénement fédère toutes les têtes chercheuses de l'époque. Elles s'appellent AntiVJ, 1024 Architecture, et viennent de la vidéo, du mix, de l'informatique, du graphisme, de l'architecture… Au Mapping Festival de Genève, qui fêtait cette année sa dixième ­édition, elles innovent à tout-va en croisant les techniques. « C'est la vidéo, désormais, qui commande les lumières. Plus ­besoin de tables de contrôle géantes, quelques pixels et un programme informatique suffisent à orchestrer le show », explique Pier Schneider, du duo parisien 1024 Architecture. Avec François Wunschel, ils sont les auteurs du Cube d'Etienne de ­Crécy ou du VTLZR de Vitalic, deux live électro parmi les plus marquants de la décennie. La miniaturisation offre de nouvelles perspectives. « L'idée était de réduire les ressources nécessaires pour nos projets. Il fallait que les artistes voyagent léger, qu'ils soient autonomes. Dans nos shows, la vidéo tient dans un téléphone portable », poursuit François Wunschel.

De plus en plus légers, les light shows prennent du relief, de la vitesse. Ils débordent de la scène pour plonger dans le public, comme ce glacier mouvant imaginé par AntiVJ aux Nuits sonores en 2009. Ils deviennent des œuvres à part entière dans les festivals d'art numérique qui fleurissent partout dans le monde, à égalité avec la musique qu'ils se sont longtemps contenté d'accompagner. Dernier défi en date : la 3D, qui permet une immersion totale du spectateur dans un déluge de faisceaux lumineux, à l'image de l'HyperCube, la dernière création de 1024. Reste à trouver l'« hypermusicien » capable de rivaliser avec un tel étourdissement. Jean-Michel Jarre, qui sait ? Il se dit que l'homme prépare son retour…



(1) Le dialogue est extrait d'un article d'Actuel, « Mon laser va chanter demain à la radio », signé Jean-Pierre Lentin.

(2) Le label Infiné vient de ressortir son premier album, Visions of Dune.

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Source: telerama.fr

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