05/08/2014

Bernard Szajner : la harpe laser de Jean Michel Jarre, c'est lui !

05/08/2014

Il ne savait jouer d'aucun instrument, mais inventa celui qui illumina les spectacles de Jean Michel Jarre. 
Et vit son invention lui échapper. Histoire d'un créateur discret et de la genèse de sa syringe.

Jean-Michel Jarre en concert à Paris-Bercy en 2010. - Niviere/Sipa

L'expression parle de l'arbre qui cache la forêt. Bernard Szajner, lui, a vécu dans l'ombre d'une harpe. Une harpe laser, la syringe, instrument lumineux qu'il inventa dans les années 1980 et qui fit le tour du monde avec une vedette, Jean Michel Jarre, au point d'éclipser son créateur. Et avec lui toute son œuvre.

Bernard Szajner est une de ces figures oubliées que les générations nouvelles aiment redécouvrir. Compagnon de route de Magma ou Gong, groupes mythiques et adulés du rock des années 1970, il est un pionnier du lightshow, ces spectacles lumineux qui enflammèrent les années psychédéliques ; un pionnier de la musique synthétique française également, auteur d'albums totalement méconnus ici ; pionnier, enfin, de la robotique mais régulièrement négligé dans les articles. « Je l'ai un peu cherché peut-être, modère-t-il, j'aime bien vivre caché. D'ailleurs je travaille rideaux fermés. »

A la Rochelle, où il vit en ce moment, il a ramené ses vis, ses joints et ses minuscules boulons, tous rangés dans leur petit tiroir au milieu d'un capharnaüm : oiseau mécanique éventré, réglette de fer en attente d'un chalumeau, câbles et lanternes magiques chinés dans une brocante. Bernard Szajner prépare une performance, un nouveau lightshow musical qu'il doit présenter à Beaubourg en septembre 2014. Il réfléchit aussi à un projet avec l'IRCAM et savoure la réédition de son premier album, Visions of Dune, sur le label InFiné. Le reste du temps, il vit à Londres, où sa musique a toujours été mieux appréciée, même si là-bas aussi, on l'avait un peu oublié.

“J'ai toujours peur qu'on me prenne
pour un illuminé ou un gourou”

Discret Szajner dont le nom, en France, a longtemps circulé entre passionnés de musique électronique sans que personne ne cherche à aller plus loin. Au mieux, une compilation pouvait parfois lui rendre hommage (So young but so cold, Tigersushi en 2004). Jusqu'à ce qu'un jour, Carl Craig, demi-dieu de la techno, le cite dans une de ces listes dont raffolent les magazines musicaux. Et voilà Bernard Szajner ressuscité grâce à cette place de numéro 1 sur le podium de Craig.

Ce disque, Some Deaths take forever, il l'avait composé pour Amnesty International en 1980. Ardu, inquiétant, sombre à souhait, c'est un concentré de Szajner qui ne déteste rien de plus que la musique jolie. « Je me rappelle, Christian Vander, de Magma disait souvent que chaque note devait peser des tonnes. Il avait raison. Il disait aussi : “Quand on s'habille en noir, on ne porte pas de slip blanc”. » Pourquoi serait-on sinistre quand on est radical ?

Bernard Szajner dans les années 1980.
Szajner travaille quelques années avec Magma. Il imagine les lightshows qui accompagnent leurs concerts. Les premiers à faire ça étaient anglais ou américains. The Grateful Dead ou Pink Floyd. C'est l'époque de la lampe à huile, des mélanges éther-glycérine-encre qu'on s'échange entre spécialistes. « On recréait sans le savoir des lanternes magiques, comme celle de Robertson, génial inventeur des fantasmagories et du fantascope au XVIIIe siècle. Je jouais avec la persistance rétinienne, je créais les mêmes illusions en mouvement. Nous recherchions la fusion parfaite entre le son et la musique, parce que les deux ensemble deviennent encore plus puissants, c'est la troisième force de la synergie. » Il rigole. « Mon but, c'est d'atteindre l'élévation, pour moi et pour le public. J'ai toujours peur qu'on me prenne pour un illuminé ou un gourou, mais c'est une démarche généreuse, pas manipulatrice. »

Quand la lumière commande la musique

Suivront Gong, puis The Who un peu plus tard, quand le laser fera son apparition. Bernard Szajner, dont le goût pour les inventions et le bricolage trouve ici un formidable terrain de jeu, devient une référence dans le domaine. Pink Floyd et leurs concerts sensoriels sont la référence. Tous les groupes veulent rivaliser avec eux, dont The Who. « Eux m'ont fait souffrir. Leur road manager m'a fait louer deux lasers, venir en Angleterre et a confisqué mes papiers à mon arrivée en me disant : “Maintenant tu m'obéis, et si t'es sage on te redonnera tout à la fin, et on te paiera un peu.” Un vrai bandit. Je me suis retrouvé à faire le manipulateur pendant leur tournée. Les musiciens n'en savaient rien. Je suis sûr qu'il leur a dit que j'avais demandé une fortune et qu'il s'est mis la différence dans la poche. »

Lassé de voir son travail de lumière réduit à une simple illustration, Bernard Szajner décide de faire route en solitaire. Puisque les musiciens négligent son œuvre, il va créer la musique qui accompagne ses lumières. La harpe laser naît en 1980. Il l'appelle la syringe. C'est une inversion complète de l'ordre des choses. Ce n'est plus la musique qui commande la lumière, mais la lumière qui commande la musique grâce aux cordes-rayons verts, qui activent un synthétiseur. « Il fallait que je trouve un instrument qui me convienne, alors que je ne sais jouer de rien. En fait, c'était une démarche paresseuse. »

L'invention fait grand bruit. Et attire l'attention de Dreyfus, producteur de Jean Michel Jarre qui l'utilisera dès 1981 pour ses spectacles, dont le célèbre show en Chine. Szajner espère une reconnaissance, dans le sillage de la vedette. Il n'en sera rien. Pour le monde entier, la harpe laser, c'est Jarre. Qui ne contredit pas. Déception, rancune, Bernard Szajner finit par détruire sa harpe personnelle. « L'objet était trop visuel et je cherche l'équilibre parfait. Je n'aime pas le spectaculaire et j'avais créé un instrument qui l'était. »


Son brevet est tombé dans le domaine
public. Pour son plus grand plaisir

La hache de guerre est désormais enterrée. Les deux hommes ne se sont jamais revus, mais leurs deux univers semblent condamnés à se rencontrer. Le label InFiné qui sort son disque a aussi collaboré avec Jarre… Les fans de Jarre l'ont contacté par Facebook. Ils recréent une harpe laser encore plus spectaculaire. Bernard Szajner s'en amuse : « C'est charmant parce que c'est fait gratuitement. » Son brevet est tombé dans le domaine public. Pour son plus grand plaisir. « Ils m'aident à construire mes nouveaux instruments. »

        

De cette époque, il reste peu de photos, mais beaucoup d'articles, dont celui de Jean-Pierre Lentin dans Actuel (Mon laser va chanter demain dans ta radio). Il y est question d'un mec à tête de Nosferatu qui se fend la pipe, de flash, d'hologramme, et de toute une époque où l'électronique tâtonnait dans le noir. Comme lui à sa naissance.

C'était en 1944, et il ne faisait pas bon naître juif dans la France de Vichy. Bernard Szajner passera ses premiers mois caché dans une cave. « Mon père m'a raconté que nous vivions dans l'obscurité totale, à l'exception de la lumière du soupirail, le jour. Impossible d'allumer la nuit, évidemment, nous aurions été repérés immédiatement. » A la libération, ils ont enfin pu se servir de la lampe suspendue au plafond. Elle faisait un clic. Du son et de la lumière. Szajner a longtemps refusé de raconter cette histoire, avant d'en comprendre le lien avec sa vie de créateur. « Ça faisait tellement accroche pour journaliste, je n'aimais pas cette idée. »

A voir
 
Bernard Szajner, Almeeva, Laurence Lenoir : Evolution. Spectacles et concerts, le 18 septembre 2014, à 20h30, au Centre Pompidou, Paris.


Source: telerama.fr

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