Témoignage
Jean-michel
Jarre, le célèbre musicien de musique électronique (Oxigène), était
l'invité du Festival Lumière 2013 à Lyon pour tenir une Master Class
dédiée à son père Maurice Jarre, illustre compositeur pour le cinéma
(Laurence d'Arabie). A cette occasion, il a accordé à Cinezik une
interview où il revient sur sa musique, sur la figure paternelle, et
évoque son désir de prolonger l'oeuvre de Maurice Jarre en signant lui
aussi des musiques de film
Hommage au Festival Lumière 2013
Lors de sa conférence au Festival Lumière de Lyon (octobre 2013),
Jean-michel Jarre a indiqué "C'est la première fois que je rend hommage à
mon père" en racontant que dés ses 5 ans et le divorce de ses parents,
il n'a plus vu son père pendant longtemps, cette absence l'a rongé, on
sent encore chez lui de l'amertume. Lorsqu'ils ont eu plus tard
l'occasion de se revoir, ils ne parlaient pas de musique, "par pudeur".
Cet hommage a permis à Jean-michel Jarre de libérer sa parole pour la
première fois à propos de son père. Lors de ce moment émouvant, mélant
l'intime et l'artistique, le musicien ne cache pas sa reconnaissance
envers son géniteur : "Il a révolutionné la musique de scène dans un
aboutissement de la musique sonore". Il cite deux films qui sont ses
favoris : "La Tête contre les murs" et "Laurence d'Arabie".
7 ans après avoir rencontré le père, le
fils Jarre a pu également libérer sa parole devant la caméra de Cinezik,
et faire quelques annonces.
Interview exclusive de Jean-Michel Jarre
"Mon approche de la musique a toujours été de fournir la bande son du film que chacun peut avoir dans sa tête. "
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Cinezik : Dans quelle mesure votre père Maurice Jarre a pu contribuer à votre désir d'être musicien ?
Jean-michel Jarre : Quand
j'ai commencé à faire de la musique, ce n'était pas du tout relié à
l'existence de l'oeuvre de mon père, à cause de l'absence de relation
que j'ai eue avec lui. Je me suis toujours dit qu'il valait mieux un
conflit ouvert avec son père, parce qu'au moins il y a quelque chose qui
existe contre lequel on peut se rebeller. Une absence est pire, car on
est dans le vide, face à un trou noir. Donc quand je commence la
musique, ce n'est bizarrement pas du tout lié au fait que j'ai un père
compositeur. Je ne m'en rends pas vraiment compte. Ma mère
m'encourageait à le faire. J'hésitais entre la peinture et la musique.
Je vais finalement faire de la musique à travers ma passion de la
peinture. Je jouais dans des groupes de rock. J'étudiais la musique au
conservatoire de Paris. Je suis ensuite rentré au Groupe de Recherches
Musicales de Pierre Schaeffer, c'est l'année 1968 où on remet tout en
question. L'approche organique du son est proche de la peinture
abstraite qui m'intéressait (Soulage, Pollock...), dans un travail sur
la texture, sur le matériau. Tout cela est très peu lié à une identité
que je voulais me forger par rapport à mon père.
Mais je réalise maintenant que sa musique
de scène m'a beaucoup marqué quand j'étais très petit. Le premier
spectacle que j'ai vu était en plein air pour le premier festival
d'Avignon. Il y avait déjà ce sens de l'espace sur le plan musical. Il a
fallu que j'attende aujourd'hui pour réaliser que c'était quelque chose
qui a dû me marquer pour faire ce que j'ai fait, forcément.
Aviez-vous le sentiment de devoir faire vos preuves, de devoir vous faire un prénom ?
JMJ : Il n'y a jamais eu
le besoin de me faire un prénom dans la mesure où le nom de mon père
n'était pas connu où je vivais. Et puis la musique de film n'était pas
au devant de la scène comme aujourd'hui. Je n'avais pas ce problème.
Quand vous faisiez vos spectacles
son et lumière, avec un rapport entre la musique et l'image,
pensiez-vous au travail de votre père ?
JMJ : Je n'ai jamais
considéré que je faisais du son et lumière. J'ai toujours eu la vision
du concert comme un évènement unique. Les concerts en extérieur
proviennent des gens du voyage qui posent leur chapiteau le temps d'une
journée, et disparaissent le lendemain. Je me souviens des cirques Amar,
Pinder... Cela m'a donné cette vision du concert en extérieur et du
rapport à l'image, d'autant que je venais de la peinture. Je pense que
si je n'avais pas fait de musique, j'aurais fait de l'architecture. J'ai
découvert bien après que mon père avait créé un des premiers spectacles
son et lumière. C'était au Château de Chambord, dans les années 50.
Mon approche de la musique a toujours été
de fournir la bande son du film que chacun peut avoir dans sa tête.
C'est à partir de là que je vais imaginer une scénographie, une
visualisation de ma musique, ce qui d'une certaine manière est
l'anti-MTV, en ne voulant surtout pas intégrer un contenu narratif, mais
dans le souci de prolonger l'arrangement sonore dans l'arrangement
visuel, de continuer à laisser les gens se raconter leur propre
histoire. C'est un peu une activité de compositeur de musique de film à
l'envers.
Pourquoi n'avez-vous pas fait plus de musiques de film jusqu'à maintenant (quelques films dans les années 70) ?
JMJ : Inconsciemment, j'ai
toujours considéré que c'était le territoire du père. Et avec les
concerts et les albums que je faisais, ce n'était pas la peine d'aller
sur un territoire déjà très occupé. Aujourd'hui, j'ai un peu évolué,
j'ai envie d'en faire pour lui. C'est assez nouveau ce que je sens par
rapport à ça.
Quel type de collaborations imaginez-vous pour le cinéma ? Quel type de musiques de films vous intéressent aujourd'hui ?
JMJ : Tout dépend d'une
rencontre. Pour mon père, il y a eu la rencontre fondatrice avec Georges
Franju qui lui a mis le pied à l'étrier du cinéma français, en
commençant ensemble par des court-métrages pour donner lieu ensuite à
des films très particuliers dans l'approche sonore. Puis plus tard, il y
a eu la rencontre avec David Lean qui va être le point de départ de sa
carrière à Hollywood, et d'une nouvelle manière d'utiliser le thème, de
manière plus systématique et obsessionnelle. Continuer cela
m'intéresserait aujourd'hui, dans la rencontre avec un réalisateur qui a
les moyens de ses ambitions. Le cinéma indépendant m'intéresse plus que
le cinéma des gros studios, car la plupart du temps les réalisateurs ne
décident plus la musique de leur film. Il y a des superviseurs qui sont
chargés d'établir la bande son, et les studios s'en désintéressent, à
partir du moment où la musique répond à des critères économiques de
décoration du film. La liberté du compositeur s'est rétrécie. Elle
n'existe plus que dans le cinéma indépendant. Malheureusement, je ne la
trouve pas assez dans le cinéma français. Je trouve, à de rares
exceptions, que les réalisateurs français ne sont pas très audacieux. Je
pense à Tarantino. Même s'il utilise de la musique existante, voilà
quelqu'un qui a une vision bien précise du son que ses films doivent
avoir. La musique fait partie du chromosome de son cinéma. Ils ne sont
pas nombreux. Il y a aussi David Fincher avec Trent Reznor et Atticus
Ross ("Social Network"), un bon exemple, et puis Cliff Martinez avec
Soderbergh ("Traffic"). C'est dans cette direction-là que je voudrais
aller.
Comme pour Delerue ou De Roubaix,
une descendance s'occupe de faire perdurer l'oeuvre du compositeur
disparu. Est-ce que vous pensez pouvoir contribuer à cette tache pour
Maurice Jarre ?
JMJ : Des choses sont
bloquées à cause de sa veuve qui n'a pas les même vues que ma soeur et
moi sur la manière d'exploiter ses musiques. Je pense que par rapport à
ma position dans le monde de la musique, ce serait très facile pour moi
d'arriver à "exploiter" ce catalogue, au bon sens du terme. Il y a des
choses qui devraient être faites et qui n'ont pas encore été faites.
J'espère qu'un jour ce sera possible.
Et rendre hommage à votre père dans votre propre musique, par la reprise d'un thème par exemple, vous y pensez ?
JMJ : C'est quelque-chose
qui murit en moi. Thierry Fremaux qui m'a demandé de faire cet hommage
au Festival Lumière de Lyon m'avait déjà fait cette proposition
immédiatement après le décès de Maurice, pour le Festival de Cannes. Il
voulait qu'on organise un concert devant le Palais des Festivals. Je
trouvais que c'était trop tôt. Il fallait digérer. Faire l'hommage à
Lyon cette année a du sens, puisque c'est notre ville. A l'avenir,
j'aurais envie de faire un hommage musical, comme reprendre un thème ou
une oeuvre. Je voudrais bien le faire sur un strict plan émotionnel et
affectif, que sa musique puisse résonner à travers sa descendance, et
résonner tout court vers un public d'une autre génération.
Interview réalisée à Lyon le 15 octobre 2013 par Benoit Basirico
Photos
Benoit Basirico
Journaliste Cinéma spécialiste de la Musique de film - Presse, web, radio
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