13/06/2012
Les métamorphoses électroniques et contemporaines du créateur d'Oxygčne
On ne connaissait du créateur d'Oxygène que le succès public du personnage. On ignorait tout de son passé aux côtés du grand manitou de la musique électronique française, Pierre Schaffer, dans les années 60. On ne savait pas non plus que sa démarche venait en droite ligne de son éducation auprès de son grand-père l'inventeur du Teppaz des surpises-parties d'alors. De son enfance bercée par les machines inventées en sous-sol au succès pyrotechniques des années 90 dans le monde et ŕ son passage dans la variété, le tour de la question, avec humour et clairvoyance, ŕ l'occasion de la sortie d'un nouvel album : "Métamorphoses" début 2000.
L'enfance d'un patch
Comment ta carrière musicale a-t-elle démarré ?
Jean-Michel Jarre : "En fait ça a démarré dans l'atelier de mon grand-père qui était un inventeur quand j'étais gosse. Avant la guerre il a construit une des premières consoles de mixage. C'était un bidouilleur qui a construit le Teppaz avec ses hauts-parleurs dans le couvercle. Il avait ce côté bidouilleur du son, mais aussi de l'image et de la photo, ma grand-mère était son éternel cobaye. Il avait inventé des moulins à café bien avant que j'existe, et donc il y avait ce côté qui a fait que, dès que j'ai commencé à jouer avec des groupes j'ai trafiqué le son, fais rentrer le son de guitares, de flûtes ou d'orgues dans des magnétos et inversé les bandes, mis du delay, de l'écho, avec les peu de moyens de l'époque sur des magnétos cassettes, etc. Ca devait être au début des années 60, j'avais douze ou treize ans."
C'est très précoce ?
J-M J :"J'ai eu la chance d'avoir un grand-père qui travaillait dans le son et qui avait des magnétophones et en fait je suis un peu tombé dedans par hasard. Et l'influence musicale vient beaucoup plus de mon grand-père que de mon père, que j'ai assez peu connu avant mes vingt-cinq ans , puisque mes parents ont divorcé lorsque j'en avais cinq. Par la suite, mon premier contact avec la musique "sérieuse" a été de rentrer au GRM de Pierre Schaeffer, le studio de recherche de la radio, future ORTF, et c'est vraiment à lui que l'on doit tout. Moi, je pense que c'est le père de la musique d'aujourd'hui. Le premier ŕ avoir établi que la musique pouvait être conçue en termes de son et pas seulement avec des notes, du solfège ou du code d'une part, et d'autre part, que ce qui pouvait différencier un bruit d'un son musical, c'est finalement l'intention qu'on y porte. Le fait d'enregistrer un bruit de voiture dans la rue, ça ne devient plus un bruit, mais un son musical à partir du moment où il est fixé sur une bande magnétique et qu'il devient quelque chose. Je crois que ça a changé ma vie de musicien ou d'artiste et changé le cours de la musique au vingtième siècle. Aujourd'hui, la musique la plus populaire du monde, la musique électronique, est issue de cette idée toute simple. Un bouquin devrait être donné à lire dans toutes les écoles du monde, dans sa version simplifiée, c'est son "Solfège des objets Musicaux".
Mon premier contact avec l'électronique ça a été de travailler sur des bancs d'oscillateurs. A l'époque, on travaillait vraiment avec des instruments de laboratoire scientifique ou médicaux qui n'avaient rien à voir avec la musique. "
Quelle était l'atmosphére au GRM, on a du mal à l'imaginer ?
J-M J :"Ce n'étaient pas vraiment des classes, c'était plutôt (rires), comme une secte. Un tas d'allumés de différents horizons et de différentes cultures se retrouvaient là, des gens d'Amérique du Sud, des Anglais, des Allemands, des Chinois. Et puis, pas seulement des gens avec une formation musicale, mais des architectes, des philosophes, des historiens, des anonymes, des peintres, des graphistes, et c'est ce mélange qui faisait que ça ressemblait plus à une cuisine qu'à une classe. Des cuisiniers du son !"
Avec beaucoup de bruits de casseroles donc !
J-M J : " Exactement ! Et moi, ma cuisine était de squatter celle des autres. Celle du GRM en particulier où j'essayais de piquer les clés des artistes qui étaient établis, les Bernard Parmegiani, François Bayle qui ont suivi les traces de Shaeffer et une voie purement "musique contemporaine". Ceux qui avaient accès aux instruments sérieux. On essayait de squatter les appareils, entre les expérimentations avec un micro et les bandes et l'enregistrement des séries de séquences pour les monter au ciseau et au scotch."
Du GRM aux premiers succès de Juvet et Christophe
Par la suite, lorsque tu es devenu populaire, est-ce que tu n'as pas été considéré comme un mauvais élève, et par Schaeffer, et par ton père Maurice Jarre ?
J-M J :" Non parce que Shaeffer m'avait toujours dit, "le GRM, c'est bien à condition d'en sortir". Au bout de deux ans et demi, il m'a dit : "tu as pris tout ce que tu pouvais prendre ici. Ce n'est ni la recherche ni le laboratoire qui te conviennent. Il faut que tu ailles à la rencontre du public et faire de la musique pour les films, etc. en intégrant la mélodie". Fin des années 60, j'ai commencé à sortir des disques à tirage limité et monter un petit studio qui comprenait deux Revox et un premier synthé, le VCS 3, une version misérabiliste du Moog fabriquée en Angleterre. Quand je dis misérabiliste, ce n'est pas péjoratif parce que cela reste un de mes synthés préférés : un synthé sans clavier, vrai synthé de recherche que beaucoup de gens de la musique électronique connaissent."
Ca coûtait déjà cher ce genre de matériel à l'époque ?
J-M J : "Il faut comprendre qu'alors, il n'y avait pas de processus industriel et que les mecs qui les fabriquaient étaient tous des allumés. C'étaient des artisans, des gens qu'on allait voir chez eux. On a acheté le premier synthé à plusieurs et on se le repassait, en partageant le temps de studio."
Entre les premières années de bricolage et Patrick Juvet, que s'est-il passé ? Est-ce qu'il y a eu d'autres disques ?
J-M J : "Oui, il y a eu des disques avec Christophe, "Les Paradis perdus" et "Les mots bleus" dans le cadre d'une production plus pop et d'une expérimentation de travaux pratique. C'était une autre manière de rentrer dans les studios. Cela m'a beaucoup apporté de travailler dans le milieu pop français, avec des albums qui ont marqué ce courant avec leur niveau de production égal à ce qui se faisait en Angleterre alors. Ca m'a permis de me frotter à une technologie totalement diffèrente du GRM."
Christophe avait un peu le GRM dans sa tête puisque ce personnage hors norme avait toujours une production étonnante derrière ses albums, comparé aux autres chanteurs français.
J-M J : "Tout à fait, il a toujours eu un côté expérimental. Il n'y a pas de hasard, on rencontre souvent des gens de la même famille, même s'ils sont d'une "planète différente."
Quelques années d'expérience dans les studios t'ont permis de découvrir des univers plus classiques pour nous. Le Jean-Michel Jarre que l'on connaît mieux, celui d'Oxygène et d'Equinox vient un peu après, vers la fin des années 70.
J-M J : "Oui, en 1976, pour Oxygène avec une forme de musique à laquelle je pensais depuis un moment. J'essayais de trouver une voie entre l'expérimental très mécanique, l'apologie de la machine à l' allemande et un côté plus latin, mélodique, avec une structure différente, pas plus planante, mais entre ciel et terre. Entre le planant du Floyd et un côté disco, les boites à rythmes assez fines que l'on a beaucoup utilisé ensuite avec la house. C'est le premier disque qui utilise des effets de phasing, des effets de guitares que j'applique sur le clavier."
Mais ne fallait-il pas être très riche à l'époque pour produire ce genre de musique ?
J-M J : "Oxygène s'est fait dans la salle de bain de l'appartement où j'habitais. J'avais fait tout ça sur un 8 pistes et le mixage en un week-end. Le travail d'Oxygène a duré pratiquement un an. Il est proche de la manière dont Daft Punk a fait son premier album avec une petite console et peu de matériel. J'use un synthé, un orgue et un séquenceur bidouillé."
On est loin du cliché des grands groupes allemands de musiques cosmiques et planantes de l'époque, avec une montagne de synthés, les grands spectacles. On pouvait produire d'une manière plus simple si on était un peu bricoleur.
J-M J : "Le matériel que j'avais alors n'avait rien à voir avec les grands Moogs allemands. Il y avait une différence à ce moment-là. Le Moog était intouchable en France, ça n'existait pratiquement pas, je sais même pas s'il y en avait un seul. C'était un instrument plus pour le mark que pour le franc (rires)."
Les années soixante-dix d'un homme de spectacle
Puis vient Jean-Michel Jarre, homme de spectacle, comment fait-on pour passer des studios fermés à une scène devant des milliers, voire des millions de personnes? ?
J-M J : "En fait, Oxygène est un disque refusé par pratiquement toutes les maisons de disques, qui disaient que ce truc ne pourrait pas marcher, trop instrumental, pas de chants, français, impossible. Puis, un indépendant français, Dreyfus, sort ce disque et ça devient le succés que l'on sait. Et là se pose vite le problème du concert. J'étais persuadé que la musique électronique n'était pas simplement une autre façon de composer, mais qu'elle deviendrait un courant à part entière, la seule alternative au rock. Nous, français ou continentaux, n'avions aucune chance avec le rock, que j'ai toujours considéré comme une musique ethnique anglaise ou américaine, mondiale soit, mais avec un terroir obligatoirement anglo-saxon. Quoi qu'on fasse on ne pouvait pas ętre égaux avec les Américains. En revanche, la musique électronique a toujours été une chose européenne, même si les développements ont eu lieu à Detroit par exemple. Le rock vient d'une société qui, au fond, n'a pas de passé artistique. Il y a peu de musique classique anglaise par rapport aux allemandes ou aux françaises. Nous avons ce background. Après la guerre arrive sans complexe une bouffée d'air pur sous forme de pop et de rock. Et on a du mal à s'en sortir. La musique électronique ne s'explique pas en trois minutes. C'est un autre forme de structure, plus cérébrale, qui convient mieux à notre continent. Ce n'est donc pas étonnant qu'elle démarre en France, en Allemagne et en Italie, plus qu'en Angleterre ou qu'aux Etats-Unis, même si des gens s'y intéressaient. Je pense que le concept de musiques électroniques démarre là.
Est-ce que l'expérience disco avec Juvet t'as marqué, même si Oxygène et tous ces morceaux qui ont suivi n'étaient pas des morceaux dansants ?
J-M J : "Après les deux albums avec Juvet, je comptais aller beaucoup plus loin dans le disco expérimental, mais lui avait envie d'autre chose. Je voulais pousser beaucoup plus cette expérience-là, mais en même temps, travailler sur une autre forme de musique plus attachée aux textures, à la substance du son, avec un côté cuisinier fondamental. C'est le rapprochement que je ferais avec les DJs, de qui je me sens proche et qui sont devant les fourneaux. A cuisiner des fréquences, ils s'approchent de la manière dont je fais de la musique. C'est pourquoi je suis plus à l'aise dans les années 90 que dans les années 80. Surtout lorsqu'un Giorgio Moroder écoutant une séquence d'Oxygen 5, en gravure à Paris, repart avec. C'était un des premiers samples piraté. Il y a eu des samplings, des recyclages constants. J'étais un peu à la croisée des chemins : le disco qui préfigurait la house ou la musique sinon planante, plus essentiellement électronique."
Est-ce qu'à l'époque vous aviez des contacts avec d'autres groupes électroniques comme Kraftwerk ?
J-M J : "A l'époque il y avait pas l'Internet et la musique électronique avait ce côté underground. On est dans sa cave physiquement, on voyage peu. On avait des contacts, on se croisait dans certains pays, dans les radios, mais c'était plutôt sauvage, au contraire de la pop. C'est normal que l'on parle davantage de contact dans l'univers pop que dans celui des musiques électroniques. A ce moment-là, il y avait peu de gens dans l'univers électronique."
Il y a toute une série d'albums fin 70.
J-M J : "Tout à fait, puis s'est posé le problème de présenter une alternative à la performance pop sur scène, avec des instruments qui ne sont pas sexy. En expérimentant, je suis tombé sur des gens qui travaillaient le visuel. D'où cette idée de présenter ma musique de manière différente d'un concert de rock, avec l'adjonction de visuels et aussi l'idée que celle-ci avait besoin d'un autre genre de lieu que les salles de concert. En fait, avec le rock, tu prends le son dans le bide alors qu'avec la techno, il traverse le corps. C'est davantage une musique d'espace et donc, j'ai eu envie d'aller dehors pour y intégrer l'architecture et l'image. Toujours avec l'idée de pirater, car la musique électronique part de l'idée de samples, d'emprunts, de la notion de détournement. Il fallait pirater un lieu. Ca préfigure ce qui s'est passé avec les raves qui exprimaient une autre forme musicale en y adjoignant nombre de techniques visuelles, tout en piratant les lieux."
N'y a-t-il pas plus institutionnel que la Place de la Concorde assez difficile à pirater ! Comment ça s'est passé ?
J-M J : "Lorsque l'on est dehors, il est évident que soit on pirate un champ, soit dans une ville, on pirate un système. C'est faire en sorte d'avoir les autorisations pour faire quelque chose de ponctuel. Ce qui s'est passé, par hasard, pour la Place de la Concorde avec 1 million de spectateurs venus. Ce n'était absolument pas prévu. J'ai mis un an à m'en remettre, c'était tout à fait expérimental. Je ne pense pas que les gens sont venus uniquement me voir, ils ont senti qu'il y avait peut-être quelque chose, un pretexte pour se réunir. Finalement, sans comparaison avec les raves, ça m'a toujours frappé de voir cet aspect spontané où les gens viennent sans être invités, juste par le bouche à oreilles.
La techno d'Equinox
Que s'était-il passé à l'époque ? Les disques comme Equinoxe et Oxygène ont-ils suscité la curiosité ?
J-M J : "Oui, c'était lié à cela. Un phénomène qui dépasse le cadre de l'événement et du concert. Oxygène et Equinoxe sont devenus extrêmement populaires dans le monde entier et ont marqué ce moment. Les gens étaient curieux de voir comment on faisait une autre musique. Aujourd'hui, il y a deux manières pour les performances musicales : soit celle d'Orbital ou d'Underworld, ces DJs super-producteurs qui vont faire des concerts dans des clubs où on ne voit pas les gens. Et puis la scène façon Chemical Brothers et Prodigy qui renouent avec le rock au niveau de la performance scénique."
Vous êtes encore sur le label Dreyfus, loin des majors. Pourquoi cette volonté d'indépendance quand on a du vous faire des ponts d'or ?
J-M J : "Cette idée du label indépendant a toujours été première pour moi parce que j'ai senti qu'il y avait un problème de nature. Un individu face à une multinationale reste abstrait. On ne parle pas le même langage, car il y a deux entités différentes en présence. Alors qu'une petite structure est établie sur des raports humains, c'est plus intéressant pour avoir une attitude pirate. Dans une petite structure, on est aux aguets, donc plus libre. "
L'album Zoolook, en 1981, semble avoir une grande importance, comme point de rupture. Il est à la fois oublié par certains et célébré par d'autres. Quel en est l'histoire?
J-M J : "C'est un des disques qui a été le plus samplé. Ca vient de la technologie qui change et de nouvelles manières de faire de la musique. Le rock est né avec le 78 tours, la musique électronique avec le 33 tours, avec la possibilité de faire des morceaux de vingt minutes. Au début des années 80 apparaissent les premiers sampleurs, dont le Fairlight, sampler de légende pour les musiciens. Et ça transforme la musique. Pour la première fois, je rencontrais un instrument dont je rêvais depuis le GRM. D'un coup, on pouvait faire la même chose en enregistrant n'importe quel son, et puis le jouer sur quatre octaves, de manière instantanée, le premier sampler. Ca me donnait envie de faire de composer différemment et d'un album vocal, mais comme je n'étais pas chanteur et n'avais pas l'envie de faire des chansons, j'ai utilisé cet instrument comme base sonore des voix. Je pars donc avec un magnéto un peu partout et j'enregistre des tas de voix d'Esquimaux, de radio, etc. A l'époque de Zoolook sortait un autre disque, le "Life in a Bush of Ghost" de Brian Eno et David Byrne. Ces disques sont complétement différents, mais complémentaires sur la voix. Dans Life, il y a des voix de prêcheurs américains et dans Zoolook, un tas de sons indiens, français, américains, chinois, où je reconstitue des rythmiques, j'enregistre des boucles de percussions et je remplace chaque son par des voix. Je faisais des patterns rythmiques avec les voix, ce qui donne le côté particulier de l'album. En le regardant maintenant avec recul, je vois qu'il a marqué."
J'ai l'impression qu'ensuite, tu es un peu revenu en arrière au lieu de creuser. Est-ce parce que ce disque a été mal compris ?
J-M J : "Arrivent les années 80, c'est un moment où je ne me sens pas très bien dans ma peau. En ce qui concerne la musique électronique à Paris, on est en plein dans le punk et le grunge qui sont, même s'il y a des choses que j'aime bien, des éléments qui ne font pas partie de ma famille. Je pars dans différentes directions pour faire des choses dont je ne suis pas totalement satisfait. La musique électronique perd alors ses repéres et me contamine inconsciemment. En Allemagne, tous les gens se sont arrêtés, tous les gros poids lourds, les précurseurs électroniques font faillite, les uns après les autres. Et d'un seul coup, arrive le DX7, le premier synthé japonais politiquement correct, contrôlé avec l'idée nippone de remplacer le piano des grands-parents par un joli Yamaha aux sons bien nets. Cela séduit bon nombre de musiciens. Pour très peu d'argent, on arrive à avoir plein de sons et une fausse impression de richesse. Ce n'est que le début du numérique dans ce qu'il a de plus négatif. C'est aussi le début du CD qui fait passer de l'analogique au numérique sans savoir où l'on va. Pour moi, une période noire".
De l'électronique de recherche au home studio
C'est à l'époque de la démocratisation des instruments électroniques?
J-M J : "Il y a une démocratisation des instruments et pas de la musique électronique, mais surtout, une mort provisoire du synthé. Les nouveaux instruments ont le nom de synthé alors qu'ils n'en sont plus, parce qu'au départ, un synthé n'a pas de clavier. Il ne sert qu'à générer des sons. Et là, ça devient avant tout un clavier, et s'établit une distance entre les musiciens et les sons. Tout le côté bidouille du son est interrompu provisoirement. C'était devenu trop compliqué. Il fallait être ingénieur pour s'en servir. On l'a donc tous subi, et il y a des choses que j'ai faites, dont je ne suis pas très fier lorsque je regarde en arrière."
Votre nouvel album est-il dans la droite lignée du concert du Caire (12/99) ?
J-M J : "Non, il a plutôt une parenté avec Zoolook. Puisqu'après le dernier album, je voulais tourner une page, j'avais envie de faire des disques non parce que je me sens bien dans la grande famille électronique, mais pour apporter quelque chose de différent pour la scène d'aujourd'hui. Je suis parti seul pendant quelques mois dans le sud de la France pour travailler deux choses : l'aspect rythmique que j'avais oblitéré depuis un certain temps, le sound design (en gros le groove) et d'autre part l'intégration des voix de Natacha Atlas et de Laurie Anderson. Tout en essayant de sortir du contexte de musique expérimentale, extrêmement intéressante que j'ai défendu de nombreuses années, mais qui donne une approche impressionniste. Lorsque l'on compose de la musique instrumentale, on a une relation impressionniste à ce que l'on essaye de faire passer. Alors que, dès que l'on pose des mots, aussi minimalistes soient-ils, on entre dans un domaine narratif et l'on peut jouer avec idées et concepts. J'ai eu envie de travailler avec ces deux aspects-là, ce qui rend l'album différent des précédents, même s'il pose une passerelle entre Zoolook et l'idée d'un travail plus avancé sur les rythmique et le trafic vocal, comme sur le morceau "Miss Moon" où on trouve des mots et des syllabes imaginés."
Comment travaillez-vous? Est-ce un travail solitaire ? avec une équipe ? de grands studios ?
J-M J : "Je suis parti seul avec très peu de matériel. Ensuite, je suis revenu dans mon studio où au fils du temps, un certain nombre de matériel s'est accumulé et j'ai travaillé en numérique, sur un nouveau système, qui m'a permis de faire des choses impossible il y a deux ans. Maintenant, avec l'informatique, on peut cuisiner de telle manière que la source devient moins importante qu'elle n'a été. Il faut se rendre compte qu'avant, la prise de son était essentielle, mais aujourd'hui, avec un son pourri, on peut restituer les fréquences qui manquent et réellement fabriquer le son que l'on cherche à partir de n'importe quelle source. Pour réaliser cet album avec Joaquim Garo (sound designer) on a réellement travaillé sur une approche sonore organique, notamment sur le plan rythmique. Ce qui fait que ce disque-là, je le revendique plus que les autres, car il réunit tout ce que j'avais envie de faire : à la fois un travail sensuel sur les rythmes et un côté poétique avec les voix."
Man Machine ?
Quel est votre rapport aux machines ?
J-M J : "J'ai un rapport très affectif qui se développe avec ces instruments avec lesquels on passe plus de temps qu'avec sa propre famille. Ce sont des rapports passionnels qui s'installent et c'est normal. Pour moi, l'électronique est une musique essentiellement tactile, organique et sensuelle. Celle-ci est la musique la plus charnelle. C'est-à-dire que l'on travaille à l'intérieur du son. J'ai hésité entre la peinture et la musique. Pour moi, cette musique est comme la peinture abstraite. On y trouve enfin un rapport à la matière, comme de cuisiner. On fait des pâtes, on malaxe, on mélange. Si j'ai choisi cette voie, c'est avant tout pour ce rapport sensuel avec elle et les machines. Avec l'ordinateur, on arrive même à oublier l'écran pour ne plus voir que le son"
Propos recueillis par Jean-Yves Leloup
Source: roueste
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